Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

26 juillet 2005

Anna


Anna
Originally uploaded by gelzy.
La vieille dame

Je l’ai revue après une année. Toujours aussi fine, fluette et forte. Toujours aussi aristocratique. Un peu plus tassée en avant, les cheveux blancs coupés au cordeau. Le jardin aussi fastueux de couleurs, de mélanges, d’assurance des arceaux et des massifs. Bien qu’elle prétende ne plus lui accorder autant de soins, le jardin comme elle a de beaux restes. L’expression est inconvenante. Il et Elle ne « restent » pas, ne sont pas « en reste ». Ils demeurent, là, présents, vivants … Elle a laissé tomber la superbe d’institutrice sûre de ses principes. Elle n’est plus qu’une petite fille qui s’éblouit de son jardin, de sa longévité, des surprises qu’il lui procure encore : cet arbuste à fleurs dont elle ne sait le nom, qu’elle n’a jamais vu, est venu s’implanter tout seul porté par le vent. Et précisément dans le fond du jardin pour qu’elle vienne l’admirer chaque jour en quelques pas supplémentaires, qu’elle le désigne, ravie, aux visiteurs …

Dans mon rêve je longeais une chambre d’hôpital donnant sur un espace privé, le mien, où j’avais réalisé un grand tableau d’un personnage en blanc et noir couvert de signes. J’hésitais à entrer dans la chambre. La vieille dame, mère d’une amie, ne me connaissait pas. Sans doute avais-je peur aussi de cette agonie. Je l’ai aperçue qui lisait, la tête sur l’oreiller, livre tendu à ras des yeux. Rassurée, je suis repassé en sens inverse devant la porte ouverte. La vieille dame avait redressé le buste. Une femme était à ses pieds, sa fille qui courbait la tête et je savais qu’elle pleurait. La mourante caressait ses cheveux.
J’ai gardé au réveil le plus longtemps possible la douceur de ce tableau. Qui était cette mourante ? Moi, en projection ?

Comme chaque année je vais voir ma maîtresse d’école qui m’a appris à lire. J’ai dit à Anna, comme chaque année, que j’aimerais atteindre, dans les mêmes conditions qu’elle-même, le grand âge. Comme chaque année elle m’a répondu qu’elle me le souhaitait. Nos deux visages très proches, nos mains emmêlées, nos yeux dans les yeux, notre baiser : tout dans le bonheur et le calme du rêve.
Sottement je lui ai dit que je viendrai lui montrer les photos. Elle est presque aveugle. Je vais pourtant essayer d’en tirer une, agrandie, de son cher bignonia qu’elle pourra mettre juste sous son nez. Mais Anna ne vit plus par photos ou textes interposés. Elle respire en direct de la respiration des plantes.

Ce matin un bouvreuil est venu picorer les haricots qui lèvent. Encore un qui n’a pas besoin de photo pour s’envoler.

1 commentaires:

Blogger Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

"Elle n’est plus qu’une petite fille qui s’éblouit de son jardin, de sa longévité, des surprises qu’il lui procure encore" c'est beau! mais comment elle les voit alors?

très beau texte!

mardi, 26 juillet, 2005  

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