Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

28 août 2005

rameau

Philosophie et jardin

Michel Serres « Rameaux »
J’en demande lecture à Pierre au petit-déjeuner.
Dans l’incertitude d’une compréhension mal réveillée je vois alors surgir une image du jardin, celle que j’avais photographiée il y a trois ou quatre jours

« Surgissant de lui*, délivré de ses exclusives, libéré du groupe qu’il peut fédérer, le rameau, pointu et perçant, fait surgir l’imprévisible où la nouveauté apparaît, où /… / l’individu se substitue au schéma, où le paysage reverdit la carte de géographie … »
( *ce livre, tronc ou tige)
L’image du rameau est celle d’une terminaison de courge zigzaguant sur la terre, parfois accrochant ses griffes entre les pommes tombées, parfois s’immisçant dans le carré de blettes et venant poser d’abord la fleur, (mais je ne l’avais pas vue à temps), puis un minuscule fruit au cœur même d’une plante choisie.
Jérôme qui me voit partir avec l’appareil photographique me demande le pourquoi, je le lui explique hâtivement comme si la merveille d’une courge greffée sur blettes allait m’échapper aussi vite qu’un papillon posé sur une rose. Je lui prononce, comme on le fait par ici, « bettes » au lieu de « blettes » et le Parisien mord à l’hameçon de l’extraordinaire au jardin, arrive sur mes talons pour constater le phénomène. Déçu bien sûr. Ce n’était que ça : un rameau de cucurbitacée greffé sur une carde, à peine visible dans le déferlement des harmonies vertes et jaunes. Et non pas une bête inconnue.
Qui n’a pas regardé fleurir les courges n’a rien vu du soleil sur la terre. Hier c’était une compagnie de six à sept fleurs sur l’ensemble des plantes. Au soir toutes fanées. J’en avais retiré une pour la décoration de la salade. C’est là que les enfants purent la voir car ils ne mettent jamais les pieds au jardin, se sont inquiétés si elle n’allait pas les contaminer d’une bizarre maladie des champs. Je leur ai suggéré les beignets à la fleur de courge sans les convaincre.
Ces rameaux sont pourtant d’origine parisienne eux aussi. Espèce rare achetée (cher) au marché aux fleurs à un étal prestigieux de plantes du monde entier. Je ne récolterai pas les énormes fruits colorés en orange brun de l’étiquette je les ai plantées trop tard, ou trop à l’ombre, ou dans un sol trop pauvre en fumier, bref ! le meilleur du résultat de ma tentative se résume en ce moment à une sorte de « melon » vert éclatant. C’est tout. Plus quelques petites billes en formation permettant toutefois de comprendre le cycle complet.
Une demi-réussite d’acclimatation.
Mais l’envie de me greffer moi sur le livre de Serres, sans autre intention
que d’y laisser aller mes feuilles, mes tiges, mes rameaux, au gré de la nouveauté au jour le jour.

08 août 2005

se casser le nez

SE CASSER LE NEZ

Vers neuf ans elle eut la bonne idée de devenir myope. Oh ! tout d’abord pas « myope comme une taupe » expression qu’elle ignorait … Non ! MYOPE avec un Y comme dans son nom, Un Y grec de bonne naissance et de distinction … Elle recueillit ce beau mot, de la bouche d’un spécialiste, grec sans doute lui aussi, un OCULISTE, le transporta religieusement avec sa maman chez l’OPTICIEN et pour ce don reçut sur le nez une paire de lunettes.
Une paire de lunettes pour yeux en face des trous, cerclés de noir.
Mais à partir de ce moment-là tout dérapa, tout s’échappa du dictionnaire : les lunettes devinrent des binocles et son gentil prénom auquel elle répondait volontiers se transforma en une douteuse épithète, une insulte à peine voilée, une sournoise apostrophe. Elle était devenue BINOCLARDE « OH ! la binoclarde ! Oh ! la binoclarde ! » prétexte à croche-pattes pour les copains jaloux et son vaurien de frangin. De MI-HOP la boum ( on sortait d’une guerre avec Prosper) en BI-NOCLARDE la différence peut paraître mince. Erreur ! Grossière erreur ! Les verres de correction ne cessèrent de s’épaissir d’année en année.
La myopie avait été déclarée « de croissance ». La pauvre enfant eut beau tenter de ralentir l’inévitable, elle grandit à vue d’œil et la prothèse ne quitta plus son support d’exposition.
Son nez, son adorable nez si mignon, tellement gentil que son Papa le cueillait entre l’index et le pouce pour le faire resurgir et le lui recoller en place, au milieu de la figure, son appendice nasal fut lui aussi frappé de disgrâce. Avalé par les lunettes, oublié dans les travaux de restauration et d’allongement de son père, il devint ce non-lieu dont on ne parlait même plus …
Hélas ! Trois fois hélas !
Elle voyagea de décennies en décennies, d’oculiste en ophtalmologiste, jusqu’à aborder à la plage espérée de la retraite.
Croyait-elle, la pauvre, pauvre enfant …
Un soir de soleil couchant, sur la porte de verre d’un immeuble bourgeois à visiter pour y trouver un appartement elle s’y cassa le nez, les lunettes, et cette si précieuse aptitude transportée depuis l’enfance avec vents et marées, de n’en faire qu’à sa tête.

L'OISEAU FRACASSE

14 Juin 2004 à Aoste

Il voulait entrer au musée
Il avait tant besoin de science
Savoir d’où ses parents venaient …
Découvrir pourquoi les marées …

Mais le musée était fermé

A force de voler partout
Sans savoir qu’il est des frontières
Il s’est fracassé sur le verre
Pauvre mésange charbonnière
Devenue charbon pour la terre

Il est possible qu’au jardin
Sur sa modeste sépulture
Il pousse une touffe de thym

Il est possible que le thym chante
A midi quand sonne le glas
Du petit oiseau arrêté
Dans sa quête de subsistance
Il est possible qu’il reste un brin

Comme de toute connaissance
En plein vol désintégrée

07 août 2005

maisons

Maisons

Grenier d’abondance
la famille était nombreuse
le pampre noueux
*
La vigne ancestrale
sur la façade au soleil
écrit sa patience
*
Au seuil de chez moi
la maison avait fait naître
l’espoir de fleurir
*
Demeure de l’enfance
a beau changer ses volets
essaims de voix mortes

01 août 2005

Vagues

Les vagues d’un poème
comme la mer viennent
me chercher sur la plage
où j’étais assoupie
Le poète en est mort
non d’en avoir écrit
d’avoir laissé les mots
faire leur choix sur la page
d’avoir reçu pour lui
l’offrande des jours clos.

Où qu’il soit, ne soit plus
Merci à sa patience
A peine si la mer
entendit son repos
pourtant restitué
sous les pas de la vague