Mots et couleurs

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18 mai 2006

UNE CARTE POSTALE II



II- RENDRE SERVICE

Verveine aimait faire la cure à Allevard. Chaque année. Au moins, pendant la cure, elle pouvait changer de jupe et de veste chaque jour, assortir les unes aux autres, profiter de l’occasion. Chez elle à quoi tous ses vêtements pouvaient-ils servir ? Elle ne se changeait que le dimanche. Elle n’aurait même pas osé mettre sa jupe courte brillante au village avec les mauvaises langues.

Elle aimait la cure aussi pour tous les services qu’elle pouvait y rendre : Aux personnes âgées, aux enfants, aux hommes, aux femmes indifféremment. Elle donnait de précieuses indications sur la position de la pipette, la pose du bavoir. Elle faisait remarquer la marche à descendre ou monter pour ne pas tomber, le sol humide aux pulvérisations et tous renseignements en ville sur les directions à prendre pour le Casino, la Poste, l’Eglise. Plus souvent la poste que l’église hélas !
Elle aimait mieux l’ancien pavillon de la source que le nouveau. On avait plus l’occasion d’y rendre service.
Quelquefois elle se taisait quand elle croyait remarquer une légère impatience chez les dames préposées aux soins. Elle ne voulait pas leur prendre leur travail, oh non ! mais elles étaient souvent trop occupées, un brin distraites, et ne voyaient pas comme elle, les besoins. Cette année spécialement elle avait pris une initiative qui la satisfaisait beaucoup. Directement chez le directeur. Oui ! Elle avait demandé à parler directement à la directrice - c’était une directrice cette année - et pourtant cette directrice avait répercuté aux dames de services les compliments qu’elle lui avait fait : gentillesse, propreté … tout ! Elle avait tout complimenté. Elle était très contente de tout cette année. Elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu faire de plus pour qu’on s’en rende compte. Et justement ce matin cette carte tombée par terre dans le parc, juste en face du batiment ORL … Cette carte … bizarre …


Elle avait souvent remarqué le grand monsieur timide assis sous le ginko biloba, toujours à la même place sur le même banc à la même heure. Toujours en avance.
Plus d’une fois elle avait eu envie de lui adresser la parole. Il paraissait si seul, si triste. Même pas triste, désoeuvré, vacant.
Elle qui ne s’ennuyait jamais. Comment peut-on rester assis sans lire, sans tricoter, sans parler à quelqu’un, sans écrire ? Le visage était couturé de rides profondes, un tic remontait vers l’œil gauche le coin de sa bouche, laquelle bouche, aux commissures des lèvres, était fendue d’un trait rouge d’infection. Il devrait soigner avec du mercurochrome ce bobo disgracieux. Pour le reste, il était encore pas mal. Grand, assez mince : une bonne hygiène de vie sans aucun doute mais vieux garçon, c’est sûr. Personne pour prendre soin de lui. Ou veuf peut-être ?
Se pouvait-il que ce soit lui, l’auteur de la carte ? Oh non ! Quelle idée peu charitable ! Il n’aurait pas été si embarrassé. Quoique … Il n’aurait pas perdu une pareille carte par inadvertance tout de même ? Et qu’avait-il pensé d’elle qui allait, de ce pas, la mettre à la poste. Bien sûr qu’elle avait été choquée, comme lui. Elle n’avait pas pris le temps de lui expliquer son intention.
Je désapprouve de pareilles monstruosités mais Dieu seul est juge, la carte affranchie. Je me dois de la poster et je prierai ce soir à la messe de six heures à la fois pour l’envoyeur et le destinataire. Deux pauvres hommes, deux gamins … Je prierai aussi pour lui, ce pauvre monsieur sous le Ginko Biloba, sa solitude, son bobo aux lèvres.

Demain je repasserai près du banc et je lui dirai comment …

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