Mots et couleurs

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18 octobre 2006

L'ETRILLE


Il y a dans ma collection des vieilles choses un outil qui pourrait s’appeler peigne à étriller.
Je n’en ai qu’un vague souvenir. Il servait à nettoyer le pelage du cheval. Un long geste de l’échine à la croupe, puis les flancs. Sans doute pour démêler les poils, enlever les traces de litière, les déchets végétaux des buissons qui s’y seraient accrochés. Le cheval tenu en bride de l’autre main, se laissait faire ; preuve que l’étrille n’était pas trop vive et qu’il augurait du beau résultat. Aujourd’hui l’outil est tout rouillé mais il n’a rien perdu des dentures (8 rangées). Il se tient bien en main par une poignée du même métal.
On comprend très bien à l’observer le sens du mot ETRILLER, se faire étriller. Se faire malmener, se faire « ramoner », secouer, rudoyer, frotter : dans les deux catégories des mots de patois et de ceux du dictionnaire, les synonymes ne manquent pas.
« de voua, de voua t’astico lo couar » disait le Cabi à sa mère, non pas à son cheval. Il n’en possédait pas d’ailleurs. Il n’en avait ni les moyens financiers, ni les moyens intellectuels. Mais il avait des rages subites et se voyait en dompteur et en asticoteur de destin.
… Je vais … je vais t’astiquer le cuir. (il bégayait)
A rapprocher de cet outil trouvé dans la maison, un anneau scellé à l’extérieur du mur de la grange, où on attachait le cheval pour le faire patienter pendant qu’on buvait un canon.
C’était le temps des chevaux. Ils avaient nom dans mon entourage de Fends-l’air, Gamin, Coquette, Briquet, Bijou … le seul souvenir que j’ai, indélébile, de leur robe bien étrillée est celui de la Coquette, la jument que Papa avait réussie à acheter. Pendant longtemps il utilisa le cheval d’un voisin, à charge pour lui de « rendre » le service en aidant aux travaux du « collègue ».
Notre Coquette, puisqu’elle était à nous, était exceptionnelle. Belle, gentille, courageuse. On aurait pu lui attribuer notre nom de famille.
Elle venait quémander sa récompense, son sucre, un sabot sur le pas de la porte et la gueule ouverte largement. Dans ses yeux une lueur de contentement qui en disait long sur ses qualités de cœur.
J’avais peur d’elle quand, rarement, Papa me demandait de lui tenir la bride (le licou) et de la conduire dans les sillons pendant qu’il dirigeait la charrue. J’ai embelli un maximum l’image agreste en gommant cette frousse de me faire marcher sur les pieds par les énormes sabots marteau pilon. Mais la Coquette savait déjà que, bien longtemps après, je l’étrillerai fermement et amoureusement sur le papier et qu’elle en deviendrait immortelle. Alors elle me léchait d’un coup de langue et je grandissais d’un seul coup d’un mètre, juste à la taille de mon Papa le grand.
Mon Papa s’appelait Alphonse. Je croyais que ce prénom n’était porté que par lui mais il paraît qu’il est revenu à la mode.
Bienvenue les Alphonse ! Tâchez de bien conduire à hue et à dia. C’est pas facile ! Il y faut de la force et de la souplesse ! Suffit de trouver un bon cheval et, peut-être, une bonne étrille. J’en ai une à proposer.
Un jour prochain, en photo.
PS : J’ai montré l’objet à deux vieux patoisants du village aujourd’hui, comme si je ne le connaissais pas. Leur réaction a été immédiate « na treille » : une étrille. Je ne m’étais pas trompée.

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