Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

28 février 2007

LE DESSOUS DES PAUPIERES


Elle se demandait si écrire les yeux ferait se lever le matin. Cela pouvait être dangereux ; les yeux s’en iraient, détruits par les mots. Mais cela pouvait peut-être peupler les balcons.
Elle se demanda s’il fallait raconter les yeux ou les unir et elle s’aperçut aussitôt que rien, au départ, ne permettait de les faire monter à la surface. Ni description, ni sonorités, ni … encore que « yeux » appelait « yeuses ». Elle se demanda où elle avait rencontré ces yeuses pour la première fois. Yeuses, médieuses … les syllabes, si on les courbait, dessinaient l’ovale des yeux. Mais elle allait alors dessiner les sempiternels yeux des dessins sempiternels et elle savait, d’expérience, que c’est par les yeux qu’elle détruisait les visages, qu’à de rares occasions, elle avait pu sortir du blanc du papier. Il n’y avait d’autres solutions pour l’instant, que le récit. Et l’eau de la flaque commençait à frémir. A cause des yeux-yeuses.
Elle dit ; « Avez-vous vu les yeux de … » Une répondit : « Aujourd’hui ! ». Les autres n’avaient pas remarqué. Elle expliqua, fière d’avoir été la première « Les yeux de Maryvonne sont impairs » et puis pour rire un peu !
Cela s’était passé brusquement. Maryvonne était en face d’elle pour échanger dans un travail du groupe. Autour de sa tête sa toison égyptienne. Son visage n’était qu’un poing anguleux au milieu de tous ses cheveux. Avait-elle posé ses lunettes-bastion ? Peut-être. Toujours est-il que les yeux lui sautèrent au regard . Le gauche surtout, barré en deux, un Ouest brun, un Est vert. Elle glissa machinalement vers le droit. Plus ordinaire, comme en veilleuse. Il fondait des eaux jaunes dans des verts étranges.
Elle revint précipitamment vers le sujet du travail, un peu inquiète de savoir si Maryvonne avait remarqué sa petite escapade dans ses yeux.
De ce jour-là, elle n’eut plus à se défendre du léger agacement que lui causait la voix feutrée de Maryvonne. Maryvonne d’ailleurs montait plus souvent à l’assaut du château des seigneurs, élargissait sa voix, affirmait, se lançait avec hardiesse dans l’abstraction des concepts et balayait avec des « je ne vois pas » « je ne suis pas d’accord » les plates-bandes ratissées des articles théoriques. Elle-même n’aimait guère ce travail mais il était amusant de voir Maryvonne s’y jeter, croire un instant qu’elle allait en tirer des conclusions claires et pour elle-même et pour les autres mais flageoler en haut de l’échelle. Maryvonne mettait alors ses paupières closes. Elle avait des silences et son regard en réapparaissant n’était plus qu’un mince trait de maquillage fatigué.
L’yeuse est un chêne vert.

26 février 2007

AUJOURD'HUI SEULEMENT

(Aujourd'hui seulement:les haricots germés dans la boîte sur coton humidifié, comme à l'école hier !)



Aujourd’hui seulement … C’est la chanson qui est venue se glisser ce matin par dessus celle du rêve sur laquelle je m’étais réveillée. Les Roses Blanches … Berthe Sylva … la cuisine originelle où nous chantions le dimanche matin avec le Disque des Auditeurs. C’était épatant, dans le rêve j’avais un pianiste pour m’accompagner.
Pour « Aujourd’hui seulement » il faut que je retourne aux petits papiers. Est-ce à cause de la neige que cette chanson un peu oubliée est remontée en surface ? En tous cas, comme la neige, elle s’installe au clavier sans trop d’hésitation. Je suis revenue dans mon ordinaire, ici : c’est bien !
Car il neige aujourd’hui. Neige appliquée, consciencieuse. Qui commence à prendre. Peut-être tiendra-t-elle. C’est aujourd’hui Lundi ( Dimanche si « Roses Blanches », Lundi pour « Aujourd’hui seulement »). Les chansons venues d’Enfance, celles venues d’Amour, ont ceci de commun de marquer le temps comme montre en or au poignet. De le marquer obstinément pour en souligner la chance unique.

Aujourd’hui seulement
Prépare tes bagages
A l’envers du temps
Nous allons faire naufrage …

Et la spirale s’enroule dans la voix rajeunie, la voix de ces matins de neige où je m’élançais jusqu’à l’école sans souci de me casser la fiole.
A la soirée « Prêt de livre » dont j’ai parlé un homme dit que l’Enfance était un langage, une réalité, un pays, pas un âge. La vérité ne sort pas de la bouche des enfants dit-il, la bouche des enfants est cette vérité … Bon ! je ne sais pas si je traduis bien sa pensée. Il s’agissait d’un père tardif ébloui qui tenait à partager son éblouissement avec nous et à nous faire partager sa conviction profonde : Revenir à l’enfance, inlassablement … source de vie.
Le matin est toujours une enfance. La chanson du matin est souvent la première à faire lever l’énergie de la découverte du jour. Or donc :

24 heures c’est peu et c’est beaucoup en somme
nous saurons éviter d’emporter montre et gomme
à gommer seulement les rides à nos visages
nous aurons tout le temps
aujourd’hui seulement …

Et spécialement pour l’amoureux lointain :

N’oublie pas le chemin
qui mène à l’embarcage
Commande le matin
réserve l’équipage
Ne rate pas le train
des plaisirs du voyage
Enfin pense souvent
que c’est moi qui t’attends
à l’envers du temps
Aujourd’hui seulement …

Aujourd’hui seulement.

25 février 2007

DANS L'OR DU TEMPS


« Le lendemain on est allés à Dinard. On a déjeuné dans un restaurant au bord de l’eau. On s’est promenés. On a mangé des gaufres et on s’est assis sur un banc avec la vue sur la mer.
On a trouvé un hôtel qui donnait sur la plage. Une chambre pour quatre. On a passé la nuit. Le matin, on a pris le petit-déjeuner face à la mer. Des croissants et de la confiture tant qu’on voulait. Les filles étaient heureuses.
On est retournés se promener. Il faisait doux. On était bien. Il y avait des toboggans sur la plage, des balançoires, des filles en maillot.
Le sable blanc /…/
P109 CLAUDIE GALLAY « Dans l’or du temps » Ed du Rouergue.

Hier au soir je suis allée au Prêt. « Prête-moi ton livre ». C’est une soirée. Organisée par la librairie. Tu viens avec un livre qui te plaît. Si tu veux tu en parles. Ils étaient bien une trentaine. Quelques 5 ou 6 à parler et à prêter. Une surtout m’a impressionnée. Elle avait neuf ans. L’assurance d’un prof d’université. Le garçon de son âge était impressionné lui aussi. Il a pris son livre. Une histoire de sorcière. Lui n’avait rien apporté.
Je suis repartie avec la proposition de Cathia. Enthousiaste. Je ne savais pas si c’était à cause d’elle que je demandais « Dans l’or du temps ». De sa sympathie pour la jeune auteure. Ou à cause du titre. J’ai pensé que L’or du Temps était le nom d’une librairie à Grenoble. L’or du temps est dans l’air du temps on dirait.
J’ai pris le style dans ma tête. J’ai marché avec. C’est minimaliste. Un peu SMS. Je ne sais pas encore si ça me plaît. Mais je continue.
Un prêt c’est pas cher. Sympathique. Prête-moi tes mots mon ami Pierrot ! J’y retournerai si je peux.
J’ai laissé filer Alain Rémond. Mais je le rachèterai. Do you want I send it to you, David ? Mais à quelle adresse ?

24 février 2007

QUATRAINS COM'ÇA



Pigeon qui roucoule
Soleil sur la pierre
Un chien dalmatien
pisse sur la décanale

Il se roule une clope
Il s’appelle Fabien
Il promène son chien
On se reverra peut-être

Faire le vide en soi
Sur le parvis d’une église
est-il plus zen que chrétien ?
Mais tant agréable !

Rue des députés
n’est qu’une ruelle
Accrochées aux étendages
des culottes démocratiques

Bien emmitouflé
le palmier retient ses palmes
serrées sur son tronc
C’est pourtant printemps !

Pourquoi accrocher
dans un ciel si bleu lavande
quelques mots de pacotille ?
Est-ce pampre sur la vrille ?

23 février 2007

DES LIVRES


J’ai oublié mon bouquin d’Alain Rémond à la librairie. J’espère que je vais le retrouver. Juste à la place du signet où je l’avais arrêté. Bouquin de connivence : ces temps d’enfance, lui en Bretagne, moi en Dauphiné, où les odeurs, les goûts, les images nous entraient dedans, indélébiles. Captées par les cinq sens à la fois. Les incompréhensions, les douleurs de famille, renvoyées le temps d’un jeu, d’une imagination, dans l’arrière-cuisine. La fantaisie, la rage de vivre, plus fortes que la guerre, la pauvreté, la maladie … Et les livres, les illustrés, livres cavernes et livres palais … comme soigneurs, entraîneurs, coach on dirait aujourd’hui …
Une librairie où on peut s’asseoir pour lire, coin enfants où s’attardent les adultes, bistrot où on boit un verre et où on grignote. Des lettres qui pendent du plafond, prêtes à être saisies. Un nouveau concept de librairie épicerie, porte-mots comme le porte-pot de naguère ; je saisis quelques bribes de conversation entre la libraire et une cliente. Connivence d’attentives de la littérature. « Vous me direz ce que vous en pensez … Moi j’aime … » Ce n’est pas grand chose, mais c’est autre chose que du simple commerce. Bien sûr les libraires ont toujours été des passeurs. Je me souviens de celui de l’avenue Alsace-Lorraine dont j’étais amoureuse à moins que ce ne soit que des livres dans les rayons dont je fantasmais les amours. Heureusement que cela continue malgré les super hyper marchés !
« J’ai perdu le secret du jeu. J’ai perdu l’enfance. Tous les jours sont des adieux » Oh non ! Alain Rémond ! J’avais aimé dans votre présentation à L’APA votre énergie d’animal, votre douceur d’enfance préservée, votre sûreté d’adulte qui dit ce qu’il a à dire avant le grand bal, sans forfanterie, au plus juste … Pas des adieux tant que par la magie du verbe on peut réintégrer ces moments doubles, quitter sa peau du jour et retrouver l’ancienne, changer de peau comme de continents, par simple billet de voyageur d’un livre. Tous les jours des bonjours, dans leurs pages choisies.

« Et voici que mon père, avec son sourire fatigué, sans doute aussi pour me faire oublier le père lointain, le père étranger, qu’il avait été, trouve le courage de nous dire combien il nous aime, beaucoup mieux que dans les livres. »

Des livres pour aider à vivre, non pour se substituer à la vie … Qu’on les écrive ou qu’on les lise …
Ce livre, cette librairie : on pousse la porte, on est chez soi.

22 février 2007

LUI,LE SETOIS


Quand, après le Gabian et l’Hirondelle, nous proposons de chanter ensemble sur quelques cartons d’orgue, les spectateurs choisissent immanquablement L’Auvergnat de Brassens. Certains n’ont même pas besoin de polycopiés pour les paroles. L’autre soir à Vaunaveys ce fut une Françoise à la belle voix qui prit le micro. Je l’entends encore.
Ce soir ce sera à Sète que « Toi, L’auvergnat » … sera repris « sans façons ». Dans sa ville.
Qu’une chanson soit une couronne mortuaire imputrescible me réjouit. D’abord parce qu’elle est pour moi une bien douce prière. Ce grand mécréant de Georges a su lancer au Père Eternel une invitation magnifique à descendre un peu plus souvent sur terre.
Pourquoi un Auvergnat dans la chanson, à côté de l’hôtesse, de l’étranger ? Peut-être parce que le bougnat tenait souvent un débit de boissons où l’on ne jetait pas dehors les pauvres diables qui en franchissaient le seuil. J’ai un grand-père que je n’ai pas connu qui tint « Aux Enfants de L’Ardèche » un « Porte-Pot » Bois et Charbons, à Lyon. J’imagine que c’était ainsi, comme chez tous les immigrés d’Ardèche ou d’Auvergne qui ouvrirent un troquet en ville : le pain, le feu, le rouge gratis en cas de besoin …

Alain Rémond raconte dans « Chaque jour est un adieu » : « Un soir je me souviens, un type est entré, sans frapper à la porte, il a dit bonjour, il s’est assis à la table, il a demandé un verre de vin. Ma mère l’a servi, le type a bu un coup, s’est essuyé la moustache, a sorti son porte-monnaie et a demandé « Combien je vous dois ? » Il croyait que la maison était toujours un café, comme elle l’avait été jadis, avant notre arrivée à Trans. Il n’était pas passé par là depuis des années, mais il n’avait rien remarqué d’anormal. Il était entré, il avait vu du monde, il avait demandé son coup de rouge. Et ma mère, qui ne l’avait jamais vu, l’a servi, sans se poser de questions ; La maison à Trans, c’était ça : on pousse la porte, on est chez soi. »

Cette chanson de Brassens, c’est ça : on pousse la porte, on est chez soi.

21 février 2007

J'AI VOULU VOIR MORNAS


J’ai voulu voir Mornas et on a vu Mornas
On a quitté l’A7 en direction d’Orange
D’oranges y en avait deux dans le sac à pique-nique
On s’est bien régalé avec nos gros sandwichs

Comme toujours !

L’GPS indiquait qu’on devait virer à droite
On a viré à droite, on a viré à gauche
Puis à gauche, puis à droite et on est arrivé
Derrière la forteresse mais elle était fermée

Comme toujours

Ça fait rien ! On grimpa pour voir en haut d’Mornas
On voyait les autos grosses comme des p’tits pois
Le Baron des Adrets était un beau salaud
Sous prétexte de servir Dieu et les parpaillots

Comme toujours

Les oiseaux pépiaient, oublieux de l’histoire
Les chats du voisinage miaulaient au cimetière
J’ai cueilli des jacinthes coincées entre deux pierres
Et j’ai pas regretté de visiter Mornas

Pour une fois !

Mais je vous préviens !
J’reviendrai pas demain !
Mais c’est aujourd’hui
Que je tiens la chronique
D’ailleurs j’ai à faire avec des flons-flons
Demain au Flo des mots
A Sète l’insulaire
(Ville de naissance
du Grand Georges
Et du p’tit
Paul Valéry )

Et c’est à 6 heures et trente minutes le soir !

* Au cimetière de Mornas : inscription occitane
A Nostro Damo
Mère, vaqui ti drole qu’an fa ce qu’an pouscu
Que siegon pas pesa coume Dieù peso un anjo,
Que Dieù mete am’eli sout sa justo roumano
Un pau d’aquesto terro que soun redevengu

A Notre Dame ( Pierre traducteur)
Mère, voici tes enfants qui ont fait ce qu’ils ont pu
Qu’ils ne soient pas pesés comme Dieu pèse un ange,
Que Dieu mette avec eux sur la juste balance
Un peu de cette terre qu’ils sont redevenus

20 février 2007

A VAUNAVEYS LA ROCHETTE


Bien que né avant terme le petit gars est de bonne venue, solide déjà sur ses pieds, teint rose et blanc … comme un vin apéritif aromatisé à la feuille de pêcher.
Bref ! les petites violettes violinent, les pâquerettes ressuscitent, les primevères tapissent, les modestes véroniques bleuissent gentiment le talus, les crocus sous l’olivier n’en finissent plus de parachever la toilette matinale.
Mais le plus beau, pour moi qui ne suis pas d’ici, ce furent hier deux amandiers en grandes noces ! Si beaux dans le soleil et la combe abritée ! Si belles qu’on les aurait dit au féminin pluriel ! Robe et traîne, sourire langoureux, yeux baissés … Des amandiers chantant le Sud avant même de l’avoir complètement atteint.

Des chenilles processionnaires traversent le sentier. Une bonne longueur de chenilles descendue des hauteurs des pins, sorties de la boule de pétanque blanchâtre qui orne les arbres dangereusement comme un arbre de Noël d’un printemps qui n’a pas eu de gel pour détruire les nids. On sait qu’il ne faut pas les toucher, qu’elles nous flanqueraient un œdème carabiné. Etonnant cet acharnement qu’elles ont à se tenir en ribambelle, comme des autos sur l’autoroute. Pas un pouce de fantaisie. Elles cheminent, elles processionnent, elles traversent, elles gagnent du terrain …

Trois chevaux dans le pré. Ils s’occupent à paître. Ils n’ont que cela à faire. Chevaux de plein air, ni pour le labour, ni pour la promenade … offrent leurs flancs au crayon maladroit, ne varient pas d’un pouce sous le regard, secouent la crinière pour chasser les mouches …

Il s’appelle Niasso, l’Espoir. Il vient d’Afrique, comme sa maîtresse qu’il tient en laisse. Non, il n’a pas de pedigree, un corniaud, chien d’Afrique c’est tout, chien de hasard, marchandise d’émigration. Mais ses bottines blanches, son fin museau, la houppette blanche en bout de queue ont l’élégance aristocratique des grandes races.

C’était à Vaunaveys la Rochette la chronique locale hier.
C’était l’article Printemps, hier, obligatoire à tous les rayons.
Aujourd’hui il persévère.

19 février 2007

VIEILLIR EN CHANSONS


VIEILLIR : C’est le titre du cahier de l’APA emporté avec moi. Dans l’article « Vieillir en chansons » : Véronique Montémont fait le tour de la question passant par Brel évidemment ( mon premier réflexe chantonnant en ouvrant le cahier), le détour par Anne Sylvestre, André Tachan, Mari-Paule Belle … les joyeux(ses) et tumultueux(ses) de la vieillesse.
C’est vrai que l’on peut rajeunir en chantant. Je me souviens avec émotion de femmes approximativement de mon âge venant me saluer à la fin du spectacle pour me confier qu’elles chantaient intérieurement avec moi, qu’elles m’accompagnaient de toute leur âme pour que je ne craque pas, qu’elles enviaient mon ardeur à chanter, à me chanter. J’espère tout de même que ce n’est pas mon âge que l’on écoute en écoutant mes chansons, fut-il guilleret dans ces moments-là. C’est peut-être ce que l’âge m’a apporté : une petite dose d’assurance, un bonheur d’être là, entièrement là, dans cette performance, cette revanche sur l’âge. Comme me l’a dit une jeune fille une fois « je n’ai pas d’âge » quand je chante. Le compliment est joli, il me fait plaisir, je ne l’ai pas quêté mais je me réjouis de le recevoir. Il n’est pas juste pourtant. J’ai mon âge, tout mon âge. C’est de ces strates d’âges que vient ma voix, elle qui n’a pas vieilli mais s’est solidifiée, enrichie, épurée. Elle qui trébuche sur une marche mais surveille son pas pour aller plus loin. Je l’ai étendue vers le haut et vers le bas. Elle continue de s’étendre. Elle n’en finit pas de me surprendre. Gamine, je me souviens l’avoir beaucoup sollicitée pour qu’elle imite les stars, mais elle attendait son heure, loin des scènes, pour arriver tranquillement, elle-même simplement, sans forfanterie, sans faiblesses minaudées, sans crescendo agressif. Et quand je lui lâche la bride, qu’elle fait ce qu’elle veut, ce qu’elle peut, dans l’improvisation, entourée de musique amie, de flots de libertés complices ah ! c’est vrai ! je n’ai pas d’âge. Je suis mon âge, dans les deux sens de « être » et « suivre ».
Bon ! C’est certain ! Ces moments-là sont éphémères ! Mais qu’une chanson les rappelle et les voilà à nouveau dynamiquement opérants.

Quand Dieu viendra, car il est gente et brave
Me demander « Veux-tu enfin finir ?
Je répondrai, pensant aux camarades
Que j’aime tant « Encore un peu mon Dieu !
Que j’aime tant
« Encore un peu mon Dieu ! »

Et la chanson conclut sans rire, sans (trop) se duper, confiante en ses limites illimitées
Je vais mourir, demain sera la veille
Je vais mourir par excédent de vie

Et elle le bisse bien entendu : privilège de refrain et de chanson !

Je veux mourir par excédent de vie !

MOURIR EN CHANSONS ? Pourquoi pas !

18 février 2007

GESTES UTILES

« Nous sommes démunis de ces gestes utiles, nous vivons imprudemment sans savoir utiliser le monde, plus désemparés que ne le fut jamais l’humanité, comme si nous devions, désormais, trouver jusqu’au bout du temps des hommes plus pauvres que nous pour fabriquer l’indispensable, nourrir et bercer nos enfants, caresser les plus vieux, réparer un soulier, recoudre une couture défaite.
Et la liste n’en finirait pas, à notre honte. »
MARIE ROUANET Luxueuse austérité

Sur la photo, Emile, dit Milo au village, est en train d’enchappler la faux. Il a mis en terre l’enclume, démanché la faux, coucher la lame sur le socle et le travail consistera en de petits coups de marteau pour reprendre, affûter le tranchant. Il fait ici « semblant », à ma demande. Le travail effectif demanderait de longs moments suivant les dentures de la faux qui aurait fauché l’herbe, ou le blé. Mais le temps n’est pas compté. Il faut faire « ce qu’il faut », au moment où il faut. L’outil doit être, aussi bien que le corps de l’artisan, en bonne forme. La journée se calque sur les besoins. Le geste utile est compris dans la dette. On le restitue calmement à ce monde que l’on domine parce qu’on en connaît les contraintes et les ressources sur le bout des doigts.
Milo non seulement collectionne tous les vieux outils et le savoir y afférant, les répare, les reconstitue comme ce « banc d’âne » où se creusaient les sabots, mais il les fait aussi parler. Bien sûr que ce travail de mémoire est inutile. On ne reviendra pas en arrière. Lui même a aux pieds des sabots de caoutchouc pour aller au jardin, et les machines fauchent autour de lui les récoltes en un rien de temps. Que deviendra sa collection quand il ne sera plus là pour l’astiquer, la faire briller ?

« Oh Oh cabasse la terre, enchapple la daille
Dame la misère oh oh … »

C’est une chanson dont je suis fière, qui tente, comme l’établi de Milo, de garder encore un peu ces « choses » made in Our Village. Heureuse que quelques chorales amies la reprennent et l’aiment de la chanter en faisant sonner leur voix sur l’enclume. Il m’est arrivé cet été, à l’énoncé de mon nom, d’être saluée en sympathie en tant qu’ouvrière de la chanson.

« Elle surgit, cette pensée native, dans la confrontation avec l’utile, avec l’humain sous sa forme immémoriale. Elle se hausse au niveau du sublime et y plane. A la question : « A quoi tu penses ? « on répondrait de bonne foi : « A rien ! », ce qui signifierait : je suis en présence de tout, sauf de ce qui est sans importance, en présence de la vie et de la mort que je porte ensemble en cet instant, de la beauté du jour, des êtres qui m’entourent, en présence de Dieu et de l’espérance, de ce que je dois accomplir soigneusement . » (idem)

17 février 2007

LA VIE EN ROSE

Dernière proposition de l'atelier d'écriture : CE QUE NOUS PENSONS

Je pense ? Quand j'écris, je pense ? Je pense que je ne sais pas ce qu'est penser. Je pense que la pensée m'est peut-être venue avant même de parler. J'ai avec Rose, une petite fille de 8 mois du voisinage, des conversations inouïes. Avec les yeux, la bouche, les mains, les danses du ventre. Bien que multi-grand-mère je pense que je ne connais pas grand chose de la vie. Devant elle je fonds de bonheur, de tendresse. Elle me reconnaît. C'est bien à moi qu'elle s'adresse quand elle quitte le bout de sein de sa mère ( oui encore à huit mois ! ) pour me glisser un regard en coin. Je ne sais que penser et ne m'en préoccupe plus, de la vie en général, des problèmes de l'heure, des solutions à la planète et à l'être ... Avec Rose je ne pense plus. Je suis là avec elle. Nous sommes. Par contre aujourd'hui, volontairement arrêtée par l'inducteur que j'ai transformé à mon unique profit : non pas" Nous pensons" mais" Je pense", non pas CE QUE mais COMMENT je veux bien chercher dans ma mémoire une scène capitale de pensée. C'était devant le lit où ma fille aînée tenait son premier enfant qui venait de naître. Une scène des origines. J'ai suggéré à ma fille de dire Merci ! Sans savoir dans quelle direction ni à quelle adresse. C'était une nécessité qui m'apparaissait clairement. Merci ! Je m'aperçois que le Elle de Rose peut se confondre avec le Elle de La Vie dans mes premières lignes. Je pense que cette maladresse est sensée. La Vie en Rose ! La Pensée en fleur ! Merci !

16 février 2007

J'ECRIS

«/…/ … un amas de photos… et plus fort que tout : j’écris. Je ne résiste pas, de jour comme de nuit, à rallumer mon PC. J’écris !… avec mes morceaux de rêves, on dirait des éclats de verre, tantôt clairs tantôt opaques. Ruines palabreuses au contraire d’un silence qui les eût faussement rangées, encore plus misérables si fardées de quelque parade du souvenir – surtout pas ça - au lieu de la mémoire-gardienne-suprême. Dans cette ville si souvent étrangère au goût simple d’un baiser en plein Paris, baiser qui ne serait pas d’un geste distrait, mais qui dure le temps d’un adieu sans départ. C’est-à-dire, quelque part, une impatience à guérir. Plus qu’un vœu à combler, une réalité à incarner. /…/ EDOUART J. MAUNICK « 50 quatrains pour narguer la mort »



le goût simple d’un baiser
le jacassement de la pie
un soleil à damner le pion à la mélancolie
un reste de tarte aux poires sur l’assiette
J’écris des gouttes d’eau sur le rebord du toit
J’écris la lente mastication des minutes belles à croquer

Je vous écris d’un pays sans frontières
d’un adieu sans départ
de la fenêtre ouverte sur la claire journée

Depuis un bouquet de St Valentin
j’écris à tous les amoureux du monde
ce matin

15 février 2007

TEMPS ORDINAIRES

« Les relations les plus précieuses, les plus fiables sont celles qui se nourrissent des temps ordinaires. Ils logent en eux la fidélité à ceux que l’on aime et ce à quoi l’on croit, aux promesses. /… /
Ces temps je m’y allège et je m’y fortifie en accomplissant les travaux essentiels dont l’écriture fait partie par son côté minutieux de travail de couture. Elle est lente, coulée dans le temps qui passe comme dans le temps vécu. /…/ L’art c’est plutôt un artisanat dont on acquiert la maîtrise dans le pas-à-pas. Exactement comme le vivre. »
Marie Rouanet « Luxueuse austérité »



Ainsi de ce blog et de ses liens quotidiens. Après ouvrir les volets, le réflexe de l’ouvrir. Pause du matin, projet de quotidienneté de mots à ouvrir. Petit déjeuner. Bise à donner. Joue tendue. Temps qui passe et temps vécu sans montre, calé entre obligations nécessaires, vaisselles acceptées, toilettes ... On peut se passer d’un repas mais on sait retrouver très vite le rite, le rythme qui rassure. Photo sur le mur. Le bébé a grandi cette nuit, accompli de nouveaux progrès, il a déjà changé depuis la semaine dernière mais de le retrouver dans les bras de sa mère remplit le biberon d’espoir. Retrouver ma confiance de jeune mère.

Voilà pourquoi, dit le loup, je mange tous les jours un mouton. Pour ne pas perdre l’habitude de la faim.

14 février 2007

ST VALENTIN AU PASSE


Je me croyais au chaud dedans mes habitudes
Je me croyais bien loin des fièvres de l’amour
Mais ce soir je blanchis dessous la solitude
Et j’ai peur et j’ai froid : tu es parti huit jours

Téléphone-moi ! Dis-moi Bonjour Madame
Quel temps fait-il là-bas ? Comment vont les enfants ?
Téléphone-moi ! Parle-moi d’Amsterdam !
Dis-moi que je suis belle ! Que tu m’aimes tout autant !

Assise dans le bureau, je crois déjà t’entendre :
Qu’as-tu donc ma chérie ? Qu’est-ce qui ne va pas ?
Est-il donc anormal de vouloir être tendre
De chanter la romance ? De languir loin de toi ?

Téléphone-moi ! Reprends le télé-bises !
Mâche les souvenirs ! Sois ridicule un peu !
Téléphone-moi ! Berce ma nostalgie !
Enroule-moi de rêves ! Fais-moi de doux aveux !

Ah ! J’avais oublié ! J’ai du lait sur le feu !
Je vous en prie ! Coupez !

13 février 2007

MIEUX SERAIT PLUS MAL


« ça va, vous êtes content ? demande-t-on à la fin d’un repas, d’une fête. –Mieux serait plus mal » répond l’interpellé. Souvent ainsi, le langage populaire étonne par sa profondeur. Ce qu’il exprime là, c’est la fine perception qu’il y a des limites à ne pas dépasser sous peine de tomber dans l’inverse de ce que l’on cherche, le contentement, pour ne pas dire le bonheur. L’excès de tout, d’amis, de nourriture, de place, de voyages, transforme les êtres en nomade de l’excès, en boulimiques de plaisirs vite éventés, en blasés, en gavés de la vie »

« Luxueuse austérité »

Heureux hasard ce matin alors que je venais de convoquer un mot de ma mère sur mon cahier dévolu à la récolte (jamais finie, toujours recommencée) qui me fait reprendre le livre de Marie Rouanet à cette page.
Le mot du matin était « dégambouiller » Il m’a donné du mal, il faudra que je me renseigne auprès de ma sœur pour compléter ma documentation …
Et donc, « Miâ gâtaré » ! C’est la traduction patoise et maternelle de « Mieux serait plus mal » ; c’est cette sagesse populaire non de renoncement, mais d’équilibre nécessaire. Maman l’utilisait souvent. Elle qui, pratiquement clouée à sa chaise longue ou son fauteuil, avait encore la force d’admirer … les fleurs, les enfants, le bon goût d’une purée de pommes de terre. J’entends sa voix appuyer sa conviction sur les lourdes syllabes. MYAA GAOTAORè. Ces A-O patois ont donné à notre accent, même aujourd’hui que l’on ne parle plus le patois, sa solidité paysanne. Non la ferveur, l’extase : la tranquillité d’âme ! Ne demandons pas plus ! Tout est là !
La neige a quelques millimètres ! Il en faudrait davantage pour glisser sur les pentes ? Mya gataré ! Prenons la petite promenade à pied, sans raquettes, sans skis, légère à nos jambes …
Ces vacances scolaires sont vides de petits enfants ! Ils ne pensent pas à nous, ils nous ont définitivement oubliés ? Mya gâtaré ! Goûte ma belle aux plaisirs de l’amitié toute proche, à la présence de Marion, Marion écriture, Marion lecture qui vient de basculer le tapuscrit de son dernier livre sur ton ordinateur avant même l’édition !
Et voici le soleil qui se profile lui aussi dans la sagesse du matin. Un petit soleil frileux encore mais dévoué ! MYA GATARE !

Comme un p'tit papillon mon âme, comme un p'tit papillon posé pour toi, au sol, ta journée.

12 février 2007

LE FROLEMENT DES MOTS-OISEAUX


le frôlement du scarabée, le balbutiement du temps sur la pierre

LES OISEAUX DE MESSIAN : Nicole Malinconi, Mélanie Berger

Un tout petit livre dont on aime tout, le format, le grain du papier, la rigueur de l’impression, l’accord vibrant entre les dessins de la page de gauche, le texte de la page de droite, le noir et le blanc … et la laitance des gris …
Un vrai livre en papier que l’on tient entre ses mains, qui vous feuillette à l’endroit, à l’envers, vous retourne et vous met d’aplomb, pour un moment, un tout petit segment de temps précieusement serré entre ses pages. Et pendant tout ce temps, on a respiré, on était bien, alors on reprend la première page et on recommence à voler, oiseau et espace. Libres.

« Ne disposant pourtant que de mots sans certitude, rien à faire. Contraint par les mots, voilà ce qu’on est ; et inutile de chercher l’issue ailleurs, on le sait ; on n’a rien d’autre pour approcher de ce qui ne peut se dire, rien que du balbutiement, de l’à-peu-près pour toute voie dans le cercle fermé pour tenter de dire le frôlement et l’inaperçu. Ecrire ça au moins, avant de mourir. Les oiseaux, eux, n’en savent rien.

Mon père,lui, si, savait, à sa façon. Francesco mio, il disait, tu entends, c’est la finale du pinson ; il termine comme ça, Francesco mio.
On écoutait ; c’était bien ça ; on répétait, tellement c’était ça, tellement ce ne l’était pas ; on rigolait, lui et moi, de dire ces mots-là qui faisaient la musique du pinson, qui n’étaient que des mots, forcément. »

11 février 2007

DEMAIN JE PARS

Parfois ce que je lis me va tellement bien que c’est comme si je l’avais écrit. Il m’arrive même pour certains textes de les recopier à la main dans mes cahiers de lecture pour me les approprier tout à fait.
Celui-ci est d’Ursula Henschel (VIGNETTE DE PIETON ET AUTRES LOUFOQUERIES). Ursula ne s’est mise à écrire que tardivement mais rattrape le temps perdu. Après l’écriture autobiographique elle tâte avec bonheur à l’écriture de contes, de nouvelles.
J’ai pensé en lisant cette page à une réflexion de ma mère plusieurs années après que j’eus opéré un changement de direction dans ma vie. Elle m’avoua, pensivement, après s’être fait beaucoup de soucis pour moi, que … oui elle aussi … elle y avait pensé pour elle-même mais n’avait pas eu les moyens de le faire.
Chère maman !
«
DEMAIN JE PARS

Demain je pars maman

Où vas-tu ? Je vais.

Tu prends quoi comme bagages ? Pas de bagages, juste une brosse à dents

Quand reviendras-tu ? Peut-être jamais !

Vas-tu à l'étranger ?
Possible

Tu ne sauras pas te faire comprendre ! Tant mieux, je n'aurai pas à écouter.

Que vais je devenir ?
Tu t'habitueras

Et tous les autres ? Ailleurs il y a d'autres autres.

C'est quoi tout à coup cette idée, je n'y comprends rien

Te souviens-tu de ces chinois riches qui, vieux, quittent tout, famille, maison, fortune et partent à pied, un bâton dans la main, s'arrêtant quand ils sont fatigués, demandant l'hospitalité là où ils se trouvent.

Si je comprends bien, tu vas mendier Non, ici l'hospitalité est un métier. J'emporte mes économies.

Pourquoi me fais-tu ça ?

J'ai le sentiment qu'à ma naissance on m'a mise dans un train pour y rester toujours, jusqu'au terminus. Cela ne me suffit plus de voir les paysages défiler à travers les vitres et de ne sortir que dans les gares. J'ai décidé de sauter du train et d'aller là où mes pieds vont me porter… »

Alors, c'est décidé ?

Tout à fait décidé. Ne sois pas triste maman, toi tu n'as jamais pensé qu'on pouvait quitter le train, mais tu m'as permis d'en rêver. Aujourd'hui, je me libère, c'est pour nous deux. »

10 février 2007

NO TOURMENT !



De L'Atelier d'Ecriture : TOURMENT

Mon tourment n'est jamais là où je crois qu'il va surgir. Mon tourment m'attend toujours au tournant ! C'est celui de mes rêves d'enfant : revenir vers la maison que j'ai quittée la nuit, car la nuit je suis deux et vais par les chemins. Mais, à un moment, j'ai l'impérieux besoin de rentrer dans mon lit, de ressouder les deux enveloppes en une seule. Pourvu que la porte ne se soit pas fermée derrière moi ! Pourvu que Maman n'ait pas vu que j'étais partie et veuille bien que je revienne ! Tourment des clés qui disparaissent de mon sac, du sac qui est perdu, des papiers, ces fameux papiers, que l'on va me demander de présenter, où sont-ils donc ? Où se cachent-ils ? Comme la cassette de l'avare. Volés, introuvables. et moi perdue sans eux. Il m'arrive fugitivement, mais j'ai l'impression de plus en plus souvent, d'être sans tourment. C'est ça la vieillesse ? Tranquille, cool, béate ... sans projets, ni ambitions. Le bonheur ! Une syncope du tourment. Dieu ou pas Dieu ? Je m'en fous ! Voiture en panne ou en exercice ? Je vais marcher. Déni d'amour ou expression renouvelée que je suis la plus importante à ses yeux ? On verra bien, je devrai pouvoir vivre sans lui. Ce matin-même, à consulter les e mails qui annoncent que je ne serai pas seule à la première de mon nouvel essai de spectacle, je pavoise ! Ah ça ira ! ça ira ! ça ira ! Mélange subtil ( comme moi !) de méthode Coué, de soleil sur la nuque, d'enfantillages acceptés et renouvelés. Tourment ne m'intéresse plus !

09 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 21


Si bien aujourd'hui, si calme, de la tête aux pieds !
Merci pour le partage ! A distance ça marche les ondes positives !

Une citation de Yves Montand dans un sketch que j'ai utilisé hier au soir pour "DE CHOSES ET D'AUTRES"
"Je n'ai jamais compris grand chose ...
Il n'y a jamais grand chose, ni petites choses ! Il y a autre chose !
Autre chose c'est ce qui me plaît, c'est ce que j'aime ... c'est ce que je fais"

Un texte ancien, une chanson sans partition ni paroles. Pas en conclusion ! Seulement en point d'orgue !

LE PARTAGE DES VOIX

Il y a dans l’amour, que ce soit celui des yeux, des lèvres, ou des sexes, échange intime de l’intériorité. Tu entres en moi. Je suis en toi. Vertige et délices de se déposséder et de s’absorber en l’autre. Je ne m’appartiens plus ouf ! ou plutôt mon moi s’est dissous, s’est élargi dans le reste de la création. Aimant et aimée. Aimant et aimantée. J’absorbe et je suis prise.
La réalité de l’amour qui se fait touche au divin. Choc de deux immensités qui se confondent dans la minute, l’instantané de la rencontre. Peu importe que de part et d’autre l’élan mystique vienne d’ailleurs ! D’une enfance inassouvie, d’une imagination des sens, d’un malaise de vivre qui pressent qu’il va réussir à flamber dans le feu.
Bon ! Rien que de très connu !
Peut-être !

Sur le bord du Rhône les six commères et compères mangeaient et buvaient. Le bain avait lissé leur peau et leur âme. Nageant dans le faisceau du soleil couchant, rafraîchis par l’eau du fleuve en cette journée de canicule, les yeux encore pleins de reflets, de sillages, de rives aperçues et dérobées après la promenade en bateau, ils avaient l’aptitude adolescente de vivre l’instant dans toute sa plénitude.
Donc, ils prenaient les tranches de bon pain, y posaient le jambon, le fromage, craquaient une tomate, se rinçaient au rosé, marchaient quelques pas sur la digue, proches de corps et d’esprit, d’appétit, se rapprochant ou s’esquivant selon les courants de l’air, les reflets sur le fleuve mitoyen, les fantaisies des nuages étonnamment en verve …
La bonne vie passait par là. Réelle, insoucieuse. Le retour pacifiant à la Nature, la sienne, celle de l’autre, la bonne mère Nature, était réussi. On ne se posait pas de questions !
Et c’est donc, sans se poser de questions, en accord avec le lieu, l’heure, les couleurs de ce couchant, les cinq personnes tellement présentes, qu’elle proposa un « massage vocal ». L’un d’entre eux serait le massé, les autres en l’entourant et en unissant leurs mains et leur voix chanteraient, laisseraient filer les sons, accrocheraient des résonances ensemble, sans souci de textes, de mots, d’expression révélée. Un simple chant. Sa voix à mêler aux voix sans se poser de questions.
On se déplaça un peu de l’endroit du pique-nique pour descendre de la digue sur le sentier pierreux et herbeux plus large.
Et les massages commencèrent. Quels que furent les a priori des uns ou des autres, l’ironie interne, les différences de perception, tous acceptèrent l’invite, vinrent se placer spontanément dans la cage aux sons. Chaque fois le partage des voix était différent. Emission, propagation, intensité, réception, changeaient comme la lumière, l’eau, le souffle … Mais comme le fleuve choisit son versant il y avait ligne de partage des voix évident. Sentiment « océanique » dirait Deltheil, du cadeau. Tant à donner qu’à recevoir. « ça » faisait du bien de partout. « ça» ouvrait toutes les écoutilles. « La paix de toute paix qui surpasse toute raison » (Holderlin) les unissait entre eux, les unissait au monde. Plus envie de prendre, d’avaler. Plus envie de se plaindre. Plus de place privilégiée à gagner de haute lutte puisqu’elle est offerte, disponible au moment choisi par chacun. Chacun. Tous. Centre et cercle.
Et elle eut bien son compte ! Les vibrations des voix quand elle eut pris sa place au centre vinrent chercher dans le puits du silence de son être l’eau qui ne demandait qu’à sourdre. Une voix avait à se dire, à se déployer, s’en aller, sortir. Une autre voix, nouvelle, sauvage, libre, forte à tresser des harmoniques avec ces douces voix-caresses, ces douces voix d’affection et de complicité. Non pour les faire taire ! Au contraire ! L’idée l’effleura qu’elle allait transgresser la règle, sa propre consigne, participer au chœur avec sa voix mais elle s’accorda ce droit-là.
Et quand ses yeux s’ouvrirent elle n’eut qu’amour pour ces visages qui accueillaient son retour, que tendresse à offrir des yeux et des lèvres et des bras pour le corps du groupe tout entier. Réconciliation d’elle-même avec elle-même et chacun et chacune.
Le passage à la joie était fait.

A se raconter cette soirée, à cueillir avec les mots et leur rythme cette émotion d’hier, elle se ressent à nouveau en accord, unanime, pleine et entière. Et elle retourne à Holderlin ;
« Je ne puis me reprocher cette joie, quel que soit le nom qu’on lui donne »
et elle aussi, comme le vieux fou, le poète enfant, se murmure qu’il serait doux de partir, dans un beau couchant, bercée, caressée, massée par la voix multiple et une du partage.

08 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 20


« Elle chante, elle fuit … » Probablement qu’il n’y a qu’une seule chanson que l’on cherche toute sa vie, celle qui est spontanément sortie avec le premier cri. L’idéal serait de l’entendre clairement au dernier souffle. Mais bon, n’anticipons pas!
Merci de cette promenade à travers, autour, de mes chansons. J’avais beaucoup exagéré en vous confiant que l’étendue des miles pouvait atteindre le millier.
Sans vous, sans vous savoir quelque part sur le chemin, je ne l’aurais pas entreprise. Au jour le jour j’en ai apprécié toutes les haltes.
Elle s’achèvera demain. Pour la vingtième et unième. Je ne sais comment. Chaque jour je me mets à l’ordinateur sans savoir quel fil se tendra, quel pas viendra. Ma satisfaction est de n’avoir esquivé aucun accident du terrain.

Marie Noël conclut ainsi son poème
« Elle chante, elle fuit et je m’efforce en vain
De la suivre en courant derrière, je m’essouffle,
Je la saisis au vol, je la perds en chemin
Et quand je ne sais plus j’attends que Dieu me souffle »

Vous pouvez reconstituer le poème en remontant la chaîne de ces étapes. Mieux ! Achetez « LES CHANSONS ET LES HEURES » suivi du ROSAIRE DES JOIES. C’est une bonne thérapie pour les jours gris et pluvieux ; et puis, à force de vous imprégner de l’alexandrin, ou d’un autre mètre poétique dont Marie Noël joue si musicalement, vous allez vous mettre à votre chanson.

A la page 152 de l’édition de poche je tombe ce matin sur un texte que j’écrivis dans le reste de la page blanche et qui s’adressait à mon amie Monique dont le fils venait d’échouer à je ne sais plus quel examen. Le voici :
Rien n’est vrai que d’aimer Monique, même ces larmes
Qui coulent sur l’espoir d’un fils non couronné
Car ce que tu pleurais ce n’était pas les charmes
De la couronne de papier mais, sur la tête aimée,
Ce chapeau de berger, peut-être, ou de gendarme
Qui l’aurait abriter d’un surplus de soleil
Ou d’un restant de pluie ! …
Laisse couler Monique cette eau de ton baptême
N’aie honte ni du rire ni du regret amer
Sois fière d’abriter dans ton coffre de mère
Un cœur non théorique et tout entier de chair
Sois fière de savoir aimer plus qu’un diplôme
Et même plus qu’un fils, la perle de tes yeux
De souffrir sa souffrance, d’espérer pour ses vœux
Et de vouloir pour lui le texte avec le titre.

Ceci dit, ma très chère, n’abuse pas des larmes !
Dépêche-toi de mettre bouteille en ton frigo
Il te reste demain à sabler le champagne
Pour saluer le fils nouveau

(celui qui chaque jour vient s’asseoir à ta table).

Au fait ! Si j’allais moi aussi mettre la bouteille au frais pour ce soir !
Mes chansons ne sont-elles pas un peu mes filles ?

07 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 19


(Bientôt l'heure !)

Oui je m'appelle" Ma chérie" pour m'encourager. Chanter une p'tite chanson et se trouver un public pour l'entendre c'est crier inlassablement " Je vous aime ! Aimez-moi !".
Se chanter sa chanson c'est entretenir la confiance de l'enfant qui roulait dans le pré musical et trouvait les roulades et les cuplettes si merveilleuses.
Parfois je me sers à moi-même des sarcasmes mais en chansons, ça me fait du bien.
C'est pas réaliste
une vie d'artiste
au troisième barreau
C'est pas une aubaine
de faire la scène
plutôt que l'carreau
Vous allez entendre
la grand-mère chantante
c'est pas du pipeau
oh oho oh
etc ...

Je préfère pour l'entretien du petit matin regarder sur mon mur de tabernacle mes compagnies souriantes, lire vos douceurs matinales, fredonner cette si ancienne bluette qui ne sera pas au programme et être tout heureuse de sa résurrection affichée pour vous grand écran.
DOUCE DOUCE

Douce douce
Douce est la chanson ma Douce (Bis)
Qui te met
à califourchon ma douce
sur le dos de tes songes

Tendre Tendre
Tendre est la romance ma belle (Bis)
Qui t’enlace et t’emmène en ritournelle
jusqu’au bord de ton coeur

Triste Triste
Triste est la complainte ma reine (Bis)
Qui te cherche, qui te serre et qui t’entraîne
Dans les plis de ton vague à l'âme

Lourde Lourde
Lourde est la rengaine ma môme (bis)
Qui te grise et se perd, chanson-fantôme
sur le pavé des rues

Saute Saute
au rythme de la comptine (bis)
Qui t’éloigne
du temps où tu étais gamine
sur la ronde des heures
te ramène
comme tu étais si petite
au creux des bras sans peur

06 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 18

Etonnant ces chants d’oiseaux comme au printemps !
Comme les chansons au printemps, ou en hiver, ou en été … Heureusement que nous n’avons que quatre saisons car plus, elles les occuperaient aussi !
Une chanson qui bourgeonne, et même épanouie, c’est un oiseau sur la branche et qui ne veut pas la quitter. Il est bien là, il s’incruste. J’ai beau lui susurrer « Tu ne veux pas aller voir ailleurs ?» Non ! il est là et bien là ! Pas moyen de le déloger de la branche nourricière.
Ainsi de « Merci M’sieurs dames » que vous aviez eu la bonté d’approuver. J’en prévois une distribution à la fin du spectacle, histoire de déloger l’oiseau de mes neurones. Mais en attendant (encore deux jours à attendre ! oh la la ! …) tous les couplets et l’insistant refrain campent dans mon salon ; la nuit, le jour, je me prends les pieds dans leurs pattes.
Ainsi que le Coucou que j’entendais une année lointaine (autour de 1990) à La Loue et sur trois notes !

J’ai répondu au coucou
Sur trois notes
Histoire de tenir le coup
A la troisième saison
Qui fait ployer mes genoux

Cahier de « Aux petits bonheurs, la chance » dont il faisait partie :
« L’inlassable coucou, aussi infatigable que le grillon, aussi sonore que les coqs de Bernard …
s’arrête quelques secondes puis repart aussitôt, à moins que ce ne soit un autre qui ait pris la relève ;
Il vient –une première fois en notre présence- de traverser d’un vol pressé la cour … pressé de se répondre à lui-même. Coucou coucou et de jouer avec son écho …
C’est plutôt gentil de sa part cette obstination à nous souhaiter le bonsoir … Le corbeau qui s’y essaye est bien moins doué en répétitifs.
C’est parfois lassant. On aimerait qu’il change de disque … mais non ! Pas de raison à cela … Comme un politicien bien rôdé il persévère coucou …
Je lui ai dédié une chanson. Je l’ai même promenée en Angleterre dans un car botanique et zoologique …
J’oublie systématiquement le sou, la pièce d’or qui me rendrait riche mais je lui suis reconnaissante de sa fidélité. C’est le Coucou de La Loue, le même, le coucou têtu … ou son descendant ou son cousin germain.
Peut-être qu’il se dit en voyant les volets à nouveau ouverts « Tiens ! la voilà ! Je vais lui faire un p’tit coucou. Il hèle en coucou « Pierrot ? Gisou ? » C’est le cri à répétition qui est lancé vers la maison. Auquel cas, « coucou » ne voudrait pas dire Bonsoir ou Bonjour mais ferait les présentations . Je suis Coucou et vous ? Pierrot ? Ou « Merde » Oh je vous ai entendu quand vous vous êtes piqués aux orties, cognés au manche de pioche. Bon ! Restons-en là voulez-vous. Je suis Coucou. Je chante Coucou. Je plaide Coucou et je vous dis COUCOU COU COUCOU COU

Derrière le buisson de houx
Sur trois notes
J’ai aperçu mon voisin
Qui guette chaque matin
Si mon cœur est en dimanche

Au matin il faut rajouter un âne qui braie. Lui braie, le coucou écoucoute, le corbeau revigoré par une bonne nuit croîtcroasse.
Hi cou Han coucou Croa cou …
Drôle de haïku ! »



miracle ! A recopier ce texte, « merci M’sieurs dames » s’est envolé et me fiche la paix. Pour tordre le cou au coucou dois-je aussi le transplanter sur papier photo avec texte à l’appui en guise de perchoir. L’imprimante s’est bien activée pendant ce temps. Elle a fait son boulot. Tu devrais en faire de même ma chérie ! ( je m’appelle « ma chérie » quand je ne suis pas sûre de m’aimer) Ne t’inquiète pas ! Tout est en place pour ce fameux 8 de tes espérances. Nous sommes déjà le 6, une bonne heure vient de s’écouler, le présentateur est prêt il me la dit,
« Et maintenant mesdames et messieurs … »
Respire ma chérie, respire !

05 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 17


« Est venu, venu,
Est venu un mot, est venu,
Est venu par la nuit,
Voulait luire, voulait luire. »
Paul Celan

Est venu un air
Est venu un petit air
Grandissant
S’installant chez lui
Dans la tête
Au chaud

Est venu avec la famille
S’est installé
Chez lui
A la table
A dit bonjour au mot
Mot de tous les jours
Se sont mis ensemble
Comme frères
Mari et femme

Un pt’it air, un p’tit mot
Sans en avoir l’air
Sans savoir le mot
pour rire
Se sont assis à la table
Et ont commencé
les présentations

Alors la chanson
A pris l’air au mot
A pris le mot dans le courant d’air
Et s’est envolée
A toutes ailes
A toute vitesse
A toutes jambes
A toutes voix

A quitté la maman, le papa
Les sœurs, les frères
A quitté la table
Chanson, chansonnette

Au soleil.

04 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 16


Continuer à regarder les franges de la chanson, ses incertitudes, ses avancées soudaines vers une certaine compréhension, ses constats désespérés qu’elle ne pourra, pas plus que n’importe quel écrit, dire la passion et la douleur de vivre.
Merci David de vous savoir attentif sur ce chemin parfois rude.
Une curieuse expérience du matin, au sortir des rêves : je chante, un air chante en moi, nouveau, mais il n’y a aucune parole, ni un quelconque besoin d’en ajouter. La chanson n’est que musique, se suffisant à elle-même.
Il y a des transformations en moi qui m’épatent. Hier, le blog tout juste fini, on m’annonce au téléphone que ma maison de La Loue a été cambriolée. Je me dispose à partir et traverse le séjour, où sont encore étalés les objets qui serviront à illustrer « De Choses et D’autres … » prêts à une nouvelle répétition. Je contourne la paire de sabots dans lesquels mes chaussons se logeront pour conclure en chantant
« Si les pieds dans mes godasses ça fait du bien par où je passe …
Si les pieds dans mes sabots OH OH OH OH … ça fait du bien ousqu’il fait chaud … »
C’est un texte un peu loufoque que je scande façon slam mais sur la dernière strophe je laisse l’improvisation partir en chantant. Façon grand-mère : ma façon - Chez Nous on chante pour dire quelque chose et pour charmer les oreilles, on ne braille pas, on ne vocifère pas, on n’agresse pas. Une chanson Tudieu ! C’est pas de la gnognotte. On s’applique ! –
Eh bien ! Quelle que soit ma contrariété, mon souci de trouver la maison en triste état, je me mets à chanter cette fin triomphale, Oh Oh OH Oh ! … tout en enfilant des habits chauds. Comme si la chanson imputrescible, non volatile, non volage, était la plus fidèle des compagnies agréables et un bien de consommation inaliénable ! Plus importante que des assiettes ( la prochaine fois que vous viendrez à La Loue apportez la vôtre !) des couvertures et couvre-lits (idem si vous voulez coucher !)
C’est Dimanche, excusez la brièveté ! Je vais écouter ce tantôt « La flûte enchantée » et m’en enchante d’avance.

03 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 15


Comme beaucoup de mots, « Chanson » est à double sens : côté pile, vie en musique, sincérité de l’expression du sujet chantant. Côté face (à moins que ce ne soit l’inverse !) : billevesées, sornettes … Arrête tes chansons ! Chansons que tout cela !
Immanquablement la duplicité de la chanson m’apparaît quand je désespère, quand je ne vois plus clair. Ce n’est pas la chanson triste qui m’affecte, non ! Celle-ci serait plutôt capable de nier ou de faire passer la douleur. Chanter la mort, même la mort dans l’âme, c’est être vivant.
Quand M est morte, je n’ai pu qu’hurler, puis la chanson que j’avais faite la dernière fois où je la vis revint me chercher, me tira vers la montagne, me fit cueillir des fleurs, prier …
J’ai pu douter du droit que j’avais eu en la composant, comme si j’avais été manipulée par mes affects, comme si j’avais une responsabilité dans cette mort que je pressentais si fort.
Tu t’en vas
Sauf que tu sais pas où
Sauf que tu sais pas quoi
Tu fais la malle
Sauf que la malle est vide
Qu’il n’y a plus rien dedans
T’as tout largué
T’as mis les voiles
Tout l’monde s’en fout
Tu quittes
Tu t’en vas
En même temps la chanson me soutenait pour accepter. Le soir même des funérailles je devais assurer un spectacle prévu. Seule. Je dormis beaucoup avant, lourdement, complètement. Une coupure totale dans le présent et le soir je fus présente à ce que je disais, forte sans efforts pour improviser, plaisanter. La nécessité d’être en représentation pour ceux qui étaient venus, dont certains connaissaient la mort de M, suppléait à mes défaillances de mémoire ou d’énergie. Comme si la chanson prémonitoire avait tapissé les angles, calfeutré la culpabilité. Par avance. Maintenant elle était là, proche et discrète, veillant à ce qui était urgence de vivre et de chanter.

Une autre chanson m’était venue, en pédalant sur une route, jusqu’à plus mal. De celle-ci je n’ai rien retenu. Mais je me souviens très clairement du lieu où j’étais à bicyclette, envahie par l’imminence de la mort de ma sœur. Je pleurais, je pédalais aveuglément et … je chantais.

Je ne connaissais pas les musiques de Marie Noël sur ses textes appelés Chansons. Je croyais que c’était une expression habituelle pour dire simplement « poème » comme chez Verlaine, comme la chanson du mal-aimé etc … Or cette année seulement j’ai eu la partition d’une de ces chansons. Marie Noël est bien compositeur autant que parolière. De même, je ne voyais en elle qu’une aimable bigote, disant subtilement la foi, l’amour et la charité. Mais cette chanson que m’a fournie mon amie Solange s’appelle « Hurlement ». Elle hurle la douleur d’une mère (que M N ne fut pas mais elle connut la douleur de sa mère perdant un enfant)
« Que me veut-on ?
Que j’aille et prie
Quand vient le soir
Leur Dieu, leurs Saints et leur Marie
Pour te revoir ?
C’est contre eux tous que mon sang crie
De désespoir
Ces loups du ciel, voleurs de vie »

Tant de chansons, dans les tranchées, dans les camps, ont aidé à tenir … à piocher …
Un chant de Marie Noël se termine par
« Je pleure ... Tout est bien. »
De cette acceptation de l’innommable, de l’inconcevable, pourrai-je déduire
« Je chante ... Tout est bien » ?

02 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 14


Pour ce qui est des chansons de circonstances ( mariages, anniversaires …) j’ai bien sûr utilisé ma lyre pour en mettre quelques-unes en circulation. Elles ne tiennent généralement que le jour de la circonstance. Toutefois certaines se sont incrustées plus profondément. A vrai dire je pourrai les appeler « chansons de circonstances exceptionnelles » comme dans l’ordinateur j’ai deux dossiers Photos : ordinaires, exceptionnelles.
L’une est celle qui marqua l’arrivée de ma première petite fille. Il m’est donc facile de la dater. Elle aura vingt ans cette année.
C’était de bon matin. Je quittais la clinique où ma fille venait d’accoucher. Il pleuvait à verses. Je me dirigeais vers la maison des grands-parents côté paternel pour les informer. Et dans le ballet des essuie-glaces la chanson nouveau-née vint ruisseler sur les vitres et dans mes yeux

Sarah, petite fille d’un jour
Sarah petite fille d’amour
Sarah tu viens au monde
Le monde vient vers nous
Tu nous le rends plus beau et plus doux

Une autre est liée à un Atelier d’Ecriture que j’animais. J’en ai écrit le récit dans « J’écris, Je fais écrire » une tentative ancienne pour avancer dans la compréhension de ce qui se passe dans l’écriture, comme aujourd’hui cette tentative de saisir un tant soit peu ce qui se passe dans la chanson.

Elle s’appelait Corinne.

Elle ne savait pas bien lire
Pas bien lire pas bien écrire
Mais elle savait des poèmes
Le secret

1996 : Dans la voiture qui me ramène chez moi ce jour de l’irruption de Corinne, une chanson me vient aux lèvres. A l’arrivée elle est finie. Je l’inscris. Pour la fête finale je l’ai chantée ( même si Corinne n’est pas venue à la fête). Eric m’accompagnait à la guitare. L’absence de Corinne m’a sans doute permis d’oser chanter ses confidences sans crainte de lui voler un morceau d’elle-même.

Elle n’avait pas eu de chance
A vingt ans pas d’assurances
Et un fauteuil roulant
A rouler

Quand le don est si grand, l’innocence si authentique, la confiance si pure, écrire, chanter ce que l’autre vient de livrer, lui laisser une trace à portée de main pour son propre parcours, est grand bonheur. Oui ! J’ose cette expression délavée par tant de cartes postales : un grand bonheur nourricier. /…/

Et elle posait sur la table
Un verre d’eau, quelques pétales
Histoire de continuer
pour savoir

Les mots transmis de la femme Corinne, à près de quarante ans, ressuscite la petite fille joufflue aux boucles sages.
En attente à la fenêtre d’une page où s’écrire, d’une chanson où se chanter, d’un monde où découvrir un horizon possible, encore possible.

Quand donc finirait la guerre
Dans un grand feu d’artifices
Ou bien dans un champ de blé
A St Nizier

Curieuse coïncidence. Quand Corinne levait les yeux vers les nuages, elle s’imaginait grimper à Saint Nizier où j’ai la chance d’habiter.

Même les chansons de circonstances ont des chemins, semble-t-il, préparés pour se rencontrer.
Et des jambes pour courir.

01 février 2007

LES CHANSONS QUE JE FAIS 13

La chanson, pour plaire, n’a pas besoin d’être géniale. Mystérieux accord entre les paroles, la musique et l’air du temps … et le tour est joué ! J’ai remarqué qu’une chanson qui m’est arrivée sans effort, comme un p’tit coquelicot mon âme, a bien des chances d’être perçue comme telle : un cadeau.
Mais cela ne suffit pas de faire confiance à sa propulsion spontanée dans l’espace. Il faut lui donner les moyens de rencontrer les bonnes oreilles. Je me sens des obligations envers mes chansons. Il n’y a que moi qui puisse les servir. Pour elles je suis allée en stages de voix, en stages de composition. J’ai payé pour… Le séjour qui m’a apporté le plus de foi en elles et de confiance en moi fut celui des Oiseaux Rares. Il y avait le soir, en dehors des séances de travail, un improvisoir. On peut y bénéficier de l’accompagnement d’un pianiste, d’une rencontre entre stagiaires fructueuse. J’ai fait fi de mes complexes, de mes paniques, de mes remords sur la chanson elle-même. Comme j’avais apporté un classeur avec moi j’ai investi l’improvisoir chaque fois que ce fut possible. Et c’est difficile car chacun ici, compositeur ou interprète, est venu dans le même but : se faire entendre coûte que coûte.
Je préparais avant de quitter St Julien Molin Molette lieu du stage, sur mon cahier perso, la lettre à Hélène qui avait mis à ma disposition sa maison pour le séjour. Je l’y retrouve :
« Le stage et le festival ont été pour moi formidables. Je revenais plusieurs fois par jour puiser entre vos murs de quoi me ressourcer. Il y a plus d’une correspondance entre vous et moi, en particulier l’amour du passé, le respect de ceux qui nous ont précédés. Ainsi j’ai proposé ma chanson « Les Dentellière » que je vous joins. D’abord à l’Improvisoir puis sur la Place des Six Fontaines pour le festival. Elle a été bien accueillie. J’avais dépendu de la fenêtre de la cuisine un morceau de dentelles que je faisais semblant de broder en chantant. Cette chanson avait été mise au point avec Claire à qui je dois ce bonheur de chanter qui est aujourd’hui le mien.
Cette chanson je voudrais vous la dédier Hélène. Qu’elle reste entre nous le signe de cette amitié invisible qui tisse entre les femmes la force de continuer la vie sous toutes ses formes … et en chantant, peignant, brodant … »
A Solange : « Bonheur …
De lancer mes p’tites chansons( Les Dentellières, Le Brin d’herbe) aux Improvisoirs et de me gonfler du plaisir qu’elles soient bien accueillies. Pour la scène ouverte ( 400 Spectateurs !) j’ai repris Les Dentellières avec une accordéoniste stagiaire qui veut la mettre à son répertoire quelque part du côté de Bordeaux dans un ensemble Chansons Femmes»

Aujourd’hui je peux chanter « Les Dentellières » avec accompagnement à l’orgue de barbarie. Il suffit de tourner la manivelle. Pierre pour réaliser le carton s’est formé lui aussi. Je reprendrai la dite chanson bientôt dans « De Choses et d’autres » où elle a évidemment sa place. C’est un tub, elle est inusable. Au clavier, avec Claire au piano ( la meilleure version), à l’orgue … Elle fut en boucle sur cassette dans l’exposition « Dentelles » que nous fîmes à la maison de Pays de Morestel et qui voyagea même un peu. Comme je ne doute pas d’elle, elle me le vaut bien. J’ai toujours dans le creux de l’oreille l’approbation qu’en fit un « pro » le lendemain de St Julien. « Tu nous as donné une bien belle chanson"

Les demoiselles de ce temps
Prennent la mer, prennent le vent
Se veulent fortes et se font belles
Sans les dentelles …

Stop ! Va donc réviser tes Dentellières, G ! Si tu veux qu’elles continuent d’assurer …
« Il n’est jamais acquis à l’homme ni sa force
ni sa faiblesse ni son cœur et quand il croit … »
Et à la femme donc, Aragon ! Si tu savais comme elle est parfois lourde à rouler la pierre de la petite chanson.