Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

28 février 2007

LE DESSOUS DES PAUPIERES


Elle se demandait si écrire les yeux ferait se lever le matin. Cela pouvait être dangereux ; les yeux s’en iraient, détruits par les mots. Mais cela pouvait peut-être peupler les balcons.
Elle se demanda s’il fallait raconter les yeux ou les unir et elle s’aperçut aussitôt que rien, au départ, ne permettait de les faire monter à la surface. Ni description, ni sonorités, ni … encore que « yeux » appelait « yeuses ». Elle se demanda où elle avait rencontré ces yeuses pour la première fois. Yeuses, médieuses … les syllabes, si on les courbait, dessinaient l’ovale des yeux. Mais elle allait alors dessiner les sempiternels yeux des dessins sempiternels et elle savait, d’expérience, que c’est par les yeux qu’elle détruisait les visages, qu’à de rares occasions, elle avait pu sortir du blanc du papier. Il n’y avait d’autres solutions pour l’instant, que le récit. Et l’eau de la flaque commençait à frémir. A cause des yeux-yeuses.
Elle dit ; « Avez-vous vu les yeux de … » Une répondit : « Aujourd’hui ! ». Les autres n’avaient pas remarqué. Elle expliqua, fière d’avoir été la première « Les yeux de Maryvonne sont impairs » et puis pour rire un peu !
Cela s’était passé brusquement. Maryvonne était en face d’elle pour échanger dans un travail du groupe. Autour de sa tête sa toison égyptienne. Son visage n’était qu’un poing anguleux au milieu de tous ses cheveux. Avait-elle posé ses lunettes-bastion ? Peut-être. Toujours est-il que les yeux lui sautèrent au regard . Le gauche surtout, barré en deux, un Ouest brun, un Est vert. Elle glissa machinalement vers le droit. Plus ordinaire, comme en veilleuse. Il fondait des eaux jaunes dans des verts étranges.
Elle revint précipitamment vers le sujet du travail, un peu inquiète de savoir si Maryvonne avait remarqué sa petite escapade dans ses yeux.
De ce jour-là, elle n’eut plus à se défendre du léger agacement que lui causait la voix feutrée de Maryvonne. Maryvonne d’ailleurs montait plus souvent à l’assaut du château des seigneurs, élargissait sa voix, affirmait, se lançait avec hardiesse dans l’abstraction des concepts et balayait avec des « je ne vois pas » « je ne suis pas d’accord » les plates-bandes ratissées des articles théoriques. Elle-même n’aimait guère ce travail mais il était amusant de voir Maryvonne s’y jeter, croire un instant qu’elle allait en tirer des conclusions claires et pour elle-même et pour les autres mais flageoler en haut de l’échelle. Maryvonne mettait alors ses paupières closes. Elle avait des silences et son regard en réapparaissant n’était plus qu’un mince trait de maquillage fatigué.
L’yeuse est un chêne vert.

2 commentaires:

Blogger marie.l a dit...

rieuse, adjectif qui rime bien avec ce que tu as écrit Gelzy, merci pour ce plaisir matinal !

mercredi, 28 février, 2007  
Blogger Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

magnifique image! pour une fois, j'ai eu mal a suivre, mais alors, tout les mots de français utilisés...

mercredi, 28 février, 2007  

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