Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

27 avril 2007

ÉCRIT DANS LES MARGES (suite)


A la deuxième ou troisième étape, sur un cul d’arbre ( voilà du parler paternel, ou à plein cul par terre ( en voilà encore) ou « à campette mon bidet » sur un tronc, un rocher. Avec l’évocation de Proust, l’ombre de mon père s’éloigne. Ma voix, à lire ce texte, à imaginer la conversation entre le grand Marcel et le téléphoniste qui court d’un poste à l’autre dans la tranchée, se fait tout à fait présente. A Pierre qui savoure, au soleil qui éclaire la page, aux citations suffisamment longues pour qu’on ait envie de retrouver Proust au retour. Proust que je n’ai vraiment découvert qu’à la quarantaine et dont j’ai les volumes de la Pléiade depuis trop d’année rangés. Je vais pouvoir aller les dénicher pour occuper les longues stations de la cure à Allevard. J’apprivoise l’idée et la cure s’en trouve déjà bienfaisante. Peut-être aussi emporter un crayon pour les marges, non pour un quelconque héritage à mes enfants. Seulement des retrouvailles avec un rythme de phrase qui ne doute pas de l’ampleur du souffle en attaquant le premier mot par sa majuscule.
Ecrire, recopier, à la main, laisser aller le verbe plein de son refrain et de ses découvertes …
« livrant des listes : éon, quodditté, monadologie, hapax, empirie, ontique, anamnèse, ipséité »
Non seulement un crayon mais aussi le dictionnaire ! Avec des mots d’aristocrate, avec les mots de patois, assurée qu’aucune solitude ne pourra m’abattre tant que j’aurai à défricher dans la forêt des mots.

Le temps est incertain, se barbouille. Un nuage gris entre deux échancrures de bleu s’installe sur la forêt. Un couple de promeneurs nous rejoint tandis que nous quittons le nouvel emplacement de lecture. C’est agréable de marcher avec le bouquin dans la poche. Petit format d’une promenade, élégance de la typographie d’un salon XVIII ième. Je ne sais exactement ce qui déclenche l’arrêt suivant. Une durée de respiration, un appel de la forêt pour un tapis de feuilles mortes, un enlacement de tronc et de pierres. Les strates du calcaire sont empilées comme des pages. Régularité et instabilité. Quelle confiance dans l’écriture pour aller ainsi, de souvenirs en témoignages, vers une relecture de son propre père !

Je propose aux promeneurs un « apéritif-lecture. Ils déclinent l’invitation, la femme, l’homme semblait hésitant. Ceux-là ont deux bâtons de ski pour assurer leur marche et ils iront le plus loin possible.
Nous faisons demi-tour. Rentrons d’un trait à l’entrée de la forêt. Avant la pluie nous avons le temps de pique-niquer. Et de déguster au dessert les dernières pages. Emotion. Rencontre avec un style « pas chichois », du « costaud ». Promenade accompagnée. Connaissance avec un vivant qui réclame encore sa part de mémoire. Pour lui, pour tous les autres anonymes.
J’irai cette semaine demander aux objets, aux outils que mon frère a nettoyés, rangés dans l’écurie comme dans un musée, ce qu’ils ont retenu de mon père. La charrue, le tarare, le kiandre, balance romaine, le bigard, etc … La pendule.
« La marche a quelque chose d’irrévocable, sous ses apparences de flânerie. Elle explore, secteur par secteur, le territoire du Temps, tel qu’il se déploie dans la conscience et glisse, avec celui qui le pense, vers l’abîme, laissant derrière lui un « jamais plus » que rien ne peut rattraper. C’est un inventaire des impuissances, des « formes rétrospectives du désir », un voyage qui s’achève sur les larmes d’Ulysse. Mais l’accumulation des phrases, la rapidité du débit, font l’effet d’un air d’altitude, produisent comme une ivresse. Sur ce chemin dans ce champ de lauzes, il arrive que poussent des fleurs, des bribes de musique tintent au travers d’un oxygène raréfié, « le sonnant cuivre clair des musiques pascales »

Des mots, un air d’altitude, des musiques pascales … et l’abondance de ces fleurs du chemin que nous ne savons pas nommer.

1 commentaires:

Anonymous Anonyme a dit...

Où t'en vas tu belle inconnue ainsi vétue ? Vers un passé que tu ressasses ?
Hier on connait, de demain on ne peut qu'espérer.
Très bon week-end soeurette

vendredi, 27 avril, 2007  

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil