Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

07 juin 2007

13 IMAGE DES MERES


MARIE ROUANET « LA MARCHE LENTE DES GLACIERS »
« Je portais mon cartable sous le bras ;
- tu as cassé la poignée ? demanda-t-elle, inquiète.
- Non, répondis-je. Mais cette année les sixièmes portent le cartable comme ça.
J’étais fière. Je pensais à moi, à ma vie qui avançait vite, vite. Ce qu’elle était, elle, à ce moment-là, je n’y songeais pas. J’ai beau chercher, son visage, s’il n’y avait pas les photographies, serait blanc. Elle était immuable, ce qui ne faiblit jamais, dont on ne peut imaginer seulement la fêlure tant on est confiant, qui rend l’élan de l’enfance possible, le bonheur saisissable. Je sais seulement aujourd’hui ce que je dois à l ‘accomplissement de ce qu’elle considérait comme le moindre des devoirs – non qu’elle eût prononcé jamais le mot, mais parce que c’était sa charge à elle.
Je ne le savais pas quand j’avais l’âge de ces enfants qui traversaient aujourd’hui le jardin. Pour eux aussi, des mains sans visage préparaient la tartine qu’ils trouvaient près du bol rempli de lait. Comme moi, ils partaient pour l’école en laissant la maison dans le désordre de la nuit et rentraient en courant pour arriver plus vite à la table préparée et s’étonnaient à peine de l’ordre revenu. Leur mère, comme la mienne, comme je l’avais fait, s’étaient activée tout le matin en courses pesantes et en nettoyages, avait calculé dans sa tête les menus du jour. La vie coulait, identique, flot suivant le flot, amour prenant le relais de l’amour. Ces écoliers joyeux étaient environnés comme je l’avais été d’une certitude solide comme la terre, invisible comme l’air, qui donnait leur prix à toutes les menues choses du jour. »

« au bout du fil du trottoir où je joue, au bord de mes jeudis, au matin de mes dimanches, elle est dans le linge frais, la maison en ordre, le pavé net, la vitre étincelante, l’armoire rangée, le gilet tricoté. Elle est là, dans la trame invisible des jours d’hier où elle accomplissait tout sans murmurer et trouvait pourtant, toute chargée de ses services, le temps d’aimer la rose, l’odeur de la pluie et les lumières du jour. »

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