Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

29 avril 2007

Diamant Dimanche



A ABEN, de nostalgies en espérances et d'hier à aujourd'hui
*****

Mes années d’insouciance ont coulé comme l’eau
Mais dans ce plat pays du Rhône et de l’enfance
Je lave encore mes mains avec cette eau absente
Et je bois à la source où buvaient les troupeaux

Ce que j’ai vu de ciel est resté dans les arbres
La tulipe porte encore sa cloche à l’envers
Le printemps fait toujours jaunir les primevères
Je n’ai donc rien perdu si ce n’est quelques larmes

Quelques larmes en moins ce n’est pas une affaire
Quelques rires en surplus on peut s’y réchauffer
Sur le chemin perdu j’aperçois père et mère
Dans le creux de mes mains pousse un cerisier

28 avril 2007

LIVRE CAHIER


« Papa, Maman, c’est moi, votre Gie. Je suis revenue. Etes-vous content ? mes cahiers sont remplis. Mes cahiers vont s’emplir. Papa, j’ai pris la plume de ton abondance, de tes blés, de tes vins, de tes terres labourées, de tes pommiers chargés de fruits, toi qui n’as pas résisté à acheter un beau vélo pour moi pour m’envoyer à la grande Ecole. Tiens-tu enfin la fierté de second du canton au certificat d’études qui aurait pu « aller plus loin » ?
Maman, petite Maman, si forte dans ta paysannerie que tu croyais une injustice, femme de terre et de labeur, inégalable fontaine de mots, d’histoires, de finesses bien à toi, que tu n’as jamais eu le loisir de dévider pour d’autres que pour moi – et encore quand tu avais le temps de t’asseoir sur la margelle du puits en brassant le kapotien pour les poules ! - comprends-tu ce que j’écris ? acceptes-tu que je l’écrive ?
Car mes cahiers, puisque nous en sommes au deuxième, seront, du moins les premiers, d’abord revanche de générations de seigneurs du verbe condamnés au silence paysan. »
***
Je continue de taper ce manuscrit vieux de quelques vingt années ? émue d’y retrouver des souvenirs oubliés, d’y rencontrer des intentions concrétisées depuis. Dehors le tracteur continue de tourner, gros insecte opiniâtre, sous les peupliers. Je pense à Aben lancé dans ce projet de LIVRE que j’affirmais alors comme indispensable à ma survie. Je lui envoie un signe derrière la fenêtre, refermée aujourd’hui car le temps a changé.
Je vais maintenant secouer le poids des mots pour m’occuper d’autres choses : des sons, des couleurs, des goûts …
LIVRE DELIVRE.

Conclusion ancienne de la frappe du jour, encore d’actualité :
« je continue,
toujours à cause de la musique, tip et tap, de ma liberté sur le clavier »

27 avril 2007

ÉCRIT DANS LES MARGES (suite)


A la deuxième ou troisième étape, sur un cul d’arbre ( voilà du parler paternel, ou à plein cul par terre ( en voilà encore) ou « à campette mon bidet » sur un tronc, un rocher. Avec l’évocation de Proust, l’ombre de mon père s’éloigne. Ma voix, à lire ce texte, à imaginer la conversation entre le grand Marcel et le téléphoniste qui court d’un poste à l’autre dans la tranchée, se fait tout à fait présente. A Pierre qui savoure, au soleil qui éclaire la page, aux citations suffisamment longues pour qu’on ait envie de retrouver Proust au retour. Proust que je n’ai vraiment découvert qu’à la quarantaine et dont j’ai les volumes de la Pléiade depuis trop d’année rangés. Je vais pouvoir aller les dénicher pour occuper les longues stations de la cure à Allevard. J’apprivoise l’idée et la cure s’en trouve déjà bienfaisante. Peut-être aussi emporter un crayon pour les marges, non pour un quelconque héritage à mes enfants. Seulement des retrouvailles avec un rythme de phrase qui ne doute pas de l’ampleur du souffle en attaquant le premier mot par sa majuscule.
Ecrire, recopier, à la main, laisser aller le verbe plein de son refrain et de ses découvertes …
« livrant des listes : éon, quodditté, monadologie, hapax, empirie, ontique, anamnèse, ipséité »
Non seulement un crayon mais aussi le dictionnaire ! Avec des mots d’aristocrate, avec les mots de patois, assurée qu’aucune solitude ne pourra m’abattre tant que j’aurai à défricher dans la forêt des mots.

Le temps est incertain, se barbouille. Un nuage gris entre deux échancrures de bleu s’installe sur la forêt. Un couple de promeneurs nous rejoint tandis que nous quittons le nouvel emplacement de lecture. C’est agréable de marcher avec le bouquin dans la poche. Petit format d’une promenade, élégance de la typographie d’un salon XVIII ième. Je ne sais exactement ce qui déclenche l’arrêt suivant. Une durée de respiration, un appel de la forêt pour un tapis de feuilles mortes, un enlacement de tronc et de pierres. Les strates du calcaire sont empilées comme des pages. Régularité et instabilité. Quelle confiance dans l’écriture pour aller ainsi, de souvenirs en témoignages, vers une relecture de son propre père !

Je propose aux promeneurs un « apéritif-lecture. Ils déclinent l’invitation, la femme, l’homme semblait hésitant. Ceux-là ont deux bâtons de ski pour assurer leur marche et ils iront le plus loin possible.
Nous faisons demi-tour. Rentrons d’un trait à l’entrée de la forêt. Avant la pluie nous avons le temps de pique-niquer. Et de déguster au dessert les dernières pages. Emotion. Rencontre avec un style « pas chichois », du « costaud ». Promenade accompagnée. Connaissance avec un vivant qui réclame encore sa part de mémoire. Pour lui, pour tous les autres anonymes.
J’irai cette semaine demander aux objets, aux outils que mon frère a nettoyés, rangés dans l’écurie comme dans un musée, ce qu’ils ont retenu de mon père. La charrue, le tarare, le kiandre, balance romaine, le bigard, etc … La pendule.
« La marche a quelque chose d’irrévocable, sous ses apparences de flânerie. Elle explore, secteur par secteur, le territoire du Temps, tel qu’il se déploie dans la conscience et glisse, avec celui qui le pense, vers l’abîme, laissant derrière lui un « jamais plus » que rien ne peut rattraper. C’est un inventaire des impuissances, des « formes rétrospectives du désir », un voyage qui s’achève sur les larmes d’Ulysse. Mais l’accumulation des phrases, la rapidité du débit, font l’effet d’un air d’altitude, produisent comme une ivresse. Sur ce chemin dans ce champ de lauzes, il arrive que poussent des fleurs, des bribes de musique tintent au travers d’un oxygène raréfié, « le sonnant cuivre clair des musiques pascales »

Des mots, un air d’altitude, des musiques pascales … et l’abondance de ces fleurs du chemin que nous ne savons pas nommer.

26 avril 2007

ÉCRIT DANS LES MARGES


De la pratique du gribouillage comme art gourmand de la lecture
Danielle Bassez
Cheyne éditeur


Nous sommes partis avec le livre en poche, depuis la Croix Perrin en direction du plateau du Sornin (le gouffre Berger) par le chemin forestier. Beau temps. Premier arrêt sur une souche.
« Ecrire, marcher : de mon père je ne retiens que cette allure du corps, balancée, ce geste de la main qui tournoie autour d’elle, l’absente, autour du vide qu’elle laisse, peut-être aussi ce haussement des sourcils au-dessus de l’arc à lunettes, cette avancée des lèvres qui sifflotent lorsqu’il marche, ou qui soufflent l’air dans l’étonnement de ce qu’il lit. »

Les notations physiques, l’évocation « mon père » sont suffisantes pour que cette histoire devienne la mienne, bien que mon père ne lut que le journal et toujours à l’arrêt. Et voici qu’aussitôt arrive « le couteau courbe qui sert à tailler ». La « goye », je murmure pour Pierre, j’aimerais tant en retrouver une ! Toujours dans la poche prête à l’emploi, tailler bien sûr, l’arbre à greffer, le pain à trancher et même se récurer entre les dents la miette, le déchet de viande qui s’y est accroché … Où trouver une goye, à Tiers ? Dans une brocante ? ça m’étonnerait qu’on puisse encore en acheter une. Et celle de mon père, où a-t-elle disparue ? Ah si j’avais su …

« Il allume la lampe baladeuse accrochée au-dessus de l’établi et tire d’un casier, parmi les tiroirs à clous soigneusement étiquetés, ce que réellement il était venu quérir, pas forcément de la grande littérature, les poèmes d’un mineur par exemple »

Non, c’est bien d’un autre homme qu’il s’agit, bien que les objets soient les mêmes, la goye, la baladeuse. « Va me chercher la baladeuse ! », qui se baladait de la cave au grenier. Cave, grenier moi aussi j’en avais et toute l’histoire familiale montant et descendant entre les deux. Par contre, pas de tiroirs à clous, pas de classement de quoi que ce soit, pas de poèmes … mais « quérir » oui, le mot ici précieux devenant en patois « qui » « vo me qui la baladeuse ! » La baladeuse était souvent perdue, on ne l’avait pas rangée, qui ne l’avait pas rangée ? Motif à rouspéter, tempêter, comme pour les clous ou trop gros ou trop fins, pour ressemeler ou rafistoler une planche branlante. Les outils se logeaient sous le cabanon. En face de la maison, petite bâtisse à trois côtés, avec la chaudière dans un angle, les vélos sur un côté, la brouette. Le « fourbi », tout le fourniment des outils, ustensiles, « choses » humbles et indispensables.



« Les mots ne lui font pas peur. Il les aime tels qu’ils sortent de la bouche, malaxés par la langue et les dents, chuintant au travers des trous laissés dans les mâchoires, déformés comme des mains au travail, de lourdes paluches, contaminés par la proximité de la frontière, bancals, qui clopinent et jouent à cloche-pied dans des vers de mirliton. »
Pourquoi mon père, premier du canton, n’a-t-il jamais touché un livre ? Il ne m’a laissé aucune trace écrite ni dans les marges, ni sur une simple feuille. J’ai eu beau chercher dans l’armoire de sa chambre après sa mort, peut-être en quête d’une réponse à ma lettre d’enfance, je n’ai rien trouvé. Les « papiers » c’étaient l’affaire de ma mère, les lettres pour la pension, le régiment, elle encore.
Mais les mots cependant comme ils les a aimés, mots de colère qui pétaient sec dans l’air, mots des chansons d’amour et coquines qu’il nous servait à la fin des repas de batteuse, de moissons, de vendanges. « Ah ! Charlotte allons gauler dans les champs
Prends ta hotte que j’y mette mes noix dedans … »
La belle langue populaire drue et gouailleuse. Je rencontre encore quelques personnes pour me rappeler une de ses répliques magnifique « Nous enterrons notre mère à tous » pour la sage-femme. Mais les récits se font rares. Même mes frères et ma sœur ont laissé se taire la voix superbe. Même moi je ne la rencontre plus guère en rêve. Ni traces, ni soupçon de traces des mots de mon père.
J’envie l’auteur de ces retrouvailles manuscrites avec le sien.

25 avril 2007

AMÉLANCHIER=DEUXIÈME TOUR

Amélanchier ovalis (pero corvino) arbuste atteignant 3m de haut, inerme. Feuilles ovales, longues de 2-4 cm, denticulées, face inférieure cotonneuse et grisâtre à l’état jeune, plus tard glabre comme la face supérieure. Pétales blancs, étroits, oblongs, lancéolés, longs de 1,5-2 cm. Calice tomentueux persistant. Slytes 5 soudés à la base. Fruits, noir, bleuâtre, 5-10 mm, globuleux.
Les amélanches sont juteuses avec une agréable saveur aromatique et sucrée. En séchant sur l’arbuste leur goût sucré s’accentue et elles rappellent étonnamment les raisins secs. Très bonnes crues, telles quelles, nombreux pépins. Compote, confiture, gâteau. Très nutritive.
A été cultivé en Angleterre. »

J’essayerai de retrouver l’amélanche en automne, autrement que dans le livre de botanique de Maurice. Mais le goût de l’écriture fulgurante qui m’a donné l’envie si forte de reprendre mon propre récit, interminable récit d’enfance, comment le maintenir en confiture et en compote savoureuses dans la durée ?
Je viens de taper des pages anciennes qui me ramènent à la mort de mon père. Premier grand ébranlement. Puis celle de ma mère. De même que Tinamer, la petite sœur qui me ressemble tant dans « L’amélanchier » je peux dire ce matin :
« - Et ton récit ?
- Convention, mensonge ! Depuis quand, ma chère, les enfants de cinq ans écrivent-ils leurs mémoires ?
- Depuis toujours, Tinamer. Convention, mensonge, bien sûr, mais aussi ce qu’on appelle l’art d’écrire. On ne demandait pas mieux que de te croire. A cause de l’amnésie des premières années, tu pouvais dire n’importe quoi.
- Il est agréable d’écrire en autant que la fabrication ne l’emporte pas sur la bonne foi.
- Pauvre Tinamer, tu serais septuagénaire que ta confession d’enfant de trois ans paraîtrait encore plus véridique. A condition de ne pas oublier les fleurs, les oiseaux et les étoiles, ingrédients que tu n’avais pas manqué de nous servir.
- Je suis septuagénaire, j’ai vingt ans et je dis que je suis septuagénaire. » /…/

A condition de ne pas oublier les fleurs, les oiseaux, les étoiles …
Je suis septuagénaire et j’ai vingt ans et cinq et dix et trente … et je n’ai pas fini de cueillir des yeux et des oreilles, du cœur et des vaisseaux du cœur, les petites fleurs blanches …
Comme d’en cueillir les fruits tardifs qu’on nomme « amélanches » et dont le nom roucoule encore d’oiseaux.

21 avril 2007

CLAIR MATIN


Un chat noir qui miaule
Le lilas en fleurs
Fera-t-il beau aujourd’hui ?

Haleine d’absinthe
les peupliers jeunes et tendres
baillent d’allégresse

Un de leurs père cassés
dans un bruit de tronçonneuse
s’abat d’un grand bang
`
Sur le matin frais
attentif au moindre bruit
c’est comme un tonnerre

A-t-il perdu ses petits
oublié jusqu’à leur nom
ce chat noir qui miaule ?

Face à la fenêtre
ce moment de déjeuner
du matin perplexe
prolonge la récréation

20 avril 2007

L'AMELANCHIER

Laure arrive au stage de chant en retard. Avant de rejoindre le cercle, elle dispose dans un verre quelques branches d’un arbuste fleuri de blanc. Je regarde du coin de l’œil. Tout le long de la route j’avais eu envie de m’arrêter pour en faire autant. Mais je serai arrivée en retard !
A la pause, Maurice nomme les branches : de l’amélanchier. Je les avais pris pour de l’aubépine, ou du merisier. Le nom d’amélanchier je le connais seulement par le livre de Jacques Fréron. Je m’imaginais que l’espèce ne pouvait être que québécoise. Je suis content qu’elle soit arrivée sur les terres calcaires des monts du Bugey. Maurice est un puits de science. Il précise que la floraison est très courte. Il me fait remarquer la petitesse des fleurs. Je leur sens un parfum délicat qu’il ne perçoit pas. Question de nez ou d’imagination ?

« Les amélanchiers mériteraient d’être cultivés à cause de leur beauté au moment de la floraison et de l’attrait qu’ils exercent sur les oiseaux » le R.F Marie-Victorin »
C’est la citation inaugurale du livre de Fréron que je trouve au retour dans ma collection québécoise. J’en reprends la lecture. Comme pour les branches fleuries une impression de beauté fulgurante.

« Sur le pourtour des clairières se pressaient l’amélanchier, le sumac et deux cerisiers ; au milieu poussait l’aubépine /…/ tous ces arbres avaient un langage et parlaient à qui voulaient les entendre /…/ Le plus extraordinaire de tous était l’amélanchier.
Dès le premier printemps, avant la feuillaison, même la sienne, il tendait une échelle aux fleurs blanches du sous-bois, à elles seulement ; quand elles étaient montées, il devenait une grande girandole, un merveilleux bouquet de vocalises, au milieu d’ailes muettes et furtives, qui annonçaient le retour des oiseaux. /…/
Devant la maison, on ne voyait ni n’entendait que l’amélanchier, puis il s’éteignait dans la verdure, plus un son, parti l’arbre solo, phare devenu inutile. Le bois se mettait à bruire de mille voix en sourdine, puis le loriot chantait et mon père disait à propos de l’amélanchier qu’il s’était retiré. « Laissons-lui la paix, il prépare sa rentrée d’automne. » L’été se passait et que trouvions-nous ? quelques baies noires rabougries, laissées par les oiseaux, et un amélanchier content d’avoir écoulé son stock de minuscules poires pourpres avant notre retour, premier à avoir ouvert la saison, premier à la fermer, qui disait :
- Tout est vendu, revenez l’année prochaine, mais de préférence avec des ailes ;
Avec des ailes ? Nous restions là, devant lui, interdits. Et il ajoutait :
-Allez, allez, le chêne vous attend : il lui reste des glands.
Monsieur Northrop le nommait saskatoon, cet arbre désinvolte et moqueur, qui ne nous avait pas en très haute considération nous parlant comme à des cochons. »

Maurice ajoute une recette de liqueur à base de bois d’amélanchier gratté et de gnole bien entendu, mais il faudra que je lui en demande plus sur le rite. A quel moment, celui de la floraison ? en quelle quantité ?

Pour la survie des amélanchiers je voterai utile dimanche. Sans hésitation.

13 avril 2007

FORCYTHIA


Les forsythias avec les primevères
le magnolia avec le vert de l'herbe
Un p'tit oiseau qui laboure le ciel
avec sa trille claire aux couleurs d'arc en ciel
Printemps partout
Printemps La Loue

12 avril 2007

ECORCE 3



Traces à l'endroit, à l'envers
Penche-toi vers elles
si tu veux apprendre encore

lire, écrire, c'est tout comme
Des yeux, de la voix, du songe
l'arbre te conseille

et de l'écorce à la branche
t'enseigne la solitude
plantée sur son roc

11 avril 2007

ECORCE 2



Insectes cachés
continuent à lire
le parchemin d'une vie

Le parchemin d'une vie
appelle encore à la trace
discrète du temps

10 avril 2007

Ecorce


Ecorce laissée sur le pré
coupée de l'aubier
continue à bruire

Continue à bruire
vent qui laboura les cimes
insectes cachés

09 avril 2007

RENOUVEAU

Découverte de la proposition d'écriture en pleine nuit blanche ! le matin s'en lève tout rosisant.
Pâque = le passage.



LA REINE ELEUTHERILIDE
C'est moué ! J'ignore l'étendue de mon royaume, souvent je sonde les limites et m'esbaudis de ne pouvoir en faire le tour en une vie et un jour. Alors je me lève la nuit. Sans chambellan grand ou petit, sans duègne accorte ou rabougrie, je plafonne et plastronne. Je pose sur mon front la couronne. Douze améthystes, douze topazes, douze sardoines et chrysoprases. Les pierres sont empreintes de mots. Depuis le temps que règne en moi les pierres précieuses, les mots magiques, j'en suis sertie. Quand l'ouragan se déchaîne, quand mon royaume est à la bise, je file doux. Me réfugie dans la bonasse. Fais le gros dos, les yeux petits. Je suis la reine. J'ai pris ma traîne. Derrière moi j'invente les misaines de mon bateau et, droit devant, à l'abordage, je me tiens coit ( ou me tient coite ?)( Suis-je la reine ? où est le roi ?) Pour de nouveau appareillages. Demain peut-être j'aurais trouvé la pierre de lune. Depuis le temps que l'on me nomme j'ai accepté de répondre à mon nom. Eleuthérilide. A six syllabes ! Un nom qui chante. Beaucoup de E, beaucoup de i. Mon père le roi me l'a donné. Le roi Alphonse. Ma mère me l'a brodé : la reine Marcelle, à même la peau. Car je suis fille de double obédience. Fille de terre et fille d'eau. Elue Eleuthérilide, j'ai essayé de transformer mes héritages. De simplifier. Leuleue pour un amant, Lilide pour un autre. Les sons mouillés qui s'interprètent, à langue osée sur les pourtours. D'interchanger les apparences : Ediliréhtuelé. Hé!

07 avril 2007

PLEINE TERRE 2


Premières pommes de terre nouvelles du quartier, laitues ventripotentes, petites postunades (carottes) qui fondent dans la bouche. Elle avait des conférences avec le Lucien pour les commandes à Vilmorin. Il assurait le secrétariat, elle suggérait, lançait de nouvelles idées. On partageait les gros sachets qui coûtaient moins chers, en une soigneuse arithmétique. On ne se fait pas de cadeaux, on ne se vole pas. On fait le juste poids, la juste mesure. C’est ainsi qu’on se rendait le pain si la fournée de la semaine avait été insuffisante, sans balance, au coup d’œil, presque sans hésitation. Il y avait une sourde rivalité entre ma mère et le père Cachard. Qui planterait le premier ? Avec les meilleures chances de succès. Car il s’agit de ne pas gaspiller les graines comme ces jardiniers fantoches d’aujourd’hui. Ils s’épiaient, se faisaient de fausses confidences, de vrais compliments, de vrais cadeaux, cadeaux d’excédents bien entendu. Ma mère donnait beaucoup, non pour le remerciement – mais elle aurait été fâchée qu’il ne vint pas- Il y avait des règles implicites, solides. Est-ce cela que je recherche ? dont j’ai la nostalgie ? Un lieu restreint : toute une vie à la même place, de bonnes règles venues de soi et de ceux qui sont venus avant soi, une rigueur sans failles : la vie simple, pas une simplicité de commande et de volonté. Simple, naturelle comme les produits que l’on consomme et qu’on a fait pousser soi-même pour soi et les siens.

ERRI DE LUCA "NOYAU D'OLIVE
SOL:/"Les verbes du travail et de la garde de la terre, avad et shamar, sont les mêmes, terriblement les mêmes que celui du service dû à Dieu. Pour cette écriture ancienne, travailler la terre et la servir sont le même mot, le même empressement dû au service sacré. Les voici : LAAVOD et HAADAMA, "servir le sol" et LAAVOD et YOD ELOHENU " servir Dieu". /.../
La terre est dans la sollicitude de Dieu. les règles du repos sabbatique, un jour par semaine, un an tous les spt ans, marquent une insistance à la protéger d'une exploitation forcenée.

06 avril 2007

PLEINE TERRE


La terre est basse. Je l’ai entendu bien souvent de ma mère et cette évidence voulait tout à la fois dire « Je suis fatiguée de gratter cette terre si basse. Serais-tu une paresseuse de rechigner à descendre jusqu’à la terre ? ne te rebiffe pas contre la terre. Elle est basse, elle te nourrit. Baisse-toi. Courbe-toi. »
Je m’amuse de ces retours à la terre que je vois chez mes compagnons de misère. Il semblerait qu’en elle ils vont retrouver leur force de vie chancelante. On plante sur des balcons tulipes et mimosas. On monte la terre dans les étages et à hauteur de vasques et de jardinières, de jardinier. La terre : s’en salir les mains, la tasser en petits pots, nettoyer à la balayette, curer ses ongles et terminer à la salle de bains avec « Chèvrefeuille » d’Yves Rocher.
On a des jardins du Dimanche. On dit « mes carottes » en ajoutant « biologiques » mais il n’y a aucune nécessité à cela. La paye assure confortablement les pommes-de-terre et bien d’autres fantaisies hivernales. Tous les vergers du monde sont à portée de nos bourses. Ecartelés, dispersés, sans racines, nous revenons à la terre pour nous refaire l’âme alors qu’elle était là pour nos parents pour nous nourrir, avant que toutes les notions se confondent. Notre agriculture est une philosophie, du moment, quand nous avons épuisé les autres.
La terre, quand on en vit, on ne l’aime pas. On la laboure, on la pioche, on la retourne, on la charrie bref, on la manipule à bras le corps, à pleines mains. On l’injurie « Bon Dieu d’bon dieu ! » quand elle résiste. La vie est dure, la terre est basse. Et tout en râtelant, arrachant, semant, on n’en continue pas moins ses amours rêvées, ses mélancolies, ses bagarres intérieures. J’ai vu mes parents, tout en se battant avec la terre pour en tirer notre subsistance, continuer leur querelle quotidienne entre eux et en eux-mêmes. Je les ai vus aussi heureux. Ma mère, au printemps, a la fébrilité des graines qui se mettent à germer toutes seules dans les sachets. Elle plante, elle plante. Son jardin qui fut longtemps son œuvre exclusive – bêcher, planter, casser les carouches jusqu’à ce que la terre soit « bien prin », poser le rateau, reprendre la pioche, tirer une racine, jeter un caillou, et puis sarcler, couvrir contre le gel, découvrir pour le rayon de soleil, tempêter, tailler, resemer ce que la taupe ou la courtillière a détruit, tailler, fumer … - était un beau jardin.

05 avril 2007

TURIN


photo LE PIN près du lac de Paladru
De l'atelier d'écriture

Quand on me dit Turin ... mais on ne me le dit plus ... L'émotion est grande, entière quand je lis Turin. Car j'ai un Turin à moi. Dans les monts du Lyonnais. Pas un Turin italien. Un Turin au bout d'un chemin, loin, loin, loin des chemins connus. On y vient en auto avec le Parrain, La Marraine. On a quatre ans à peine la première fois. On y revient. On est en vacances. Jusque là on ne savait pas ce qu'étaient les vacances lointaines, les maisons de campagne, les pêchers, la Mativière, quartier privilégié de ce Turin merveilleux. Il y a quelques années j'ai exposé à propos de "l'Ecole au village" un cahier. Il y avait une rédaction et j'y parlais de Turin, je dessinais Turin sur la page. Un visiteur lut la rédaction, découvrit le nom de Turin. Il en venait. Il s'installait dans notre région. Il chercha à connaître l'auteur. Quel étonnement ! Turin me faisait signe par une ligne d'écriture sur un papier. J'ai tenté de revoir Turin, la maison. Je ne sais pas si c'est en rêve ou en réalité. Je tenterai peut-être encore ce voyage. Est-ce que l'on réussit les voyages de retour ? Est-ce qu'on retrouve le goût des pêches de son enfance ? Je longeais la maison du voisin avec un "Bonsoir" très appuyé et le père Veissière me criait " Viens manger une pêche !" J'accourais dans la maison; Des pêches, j'en emportais à pleines mains. D'avoir trouvé Turin ce matin tient du miracle. Je suis allée voir ma Marraine la semaine dernière. 102 ans ! Turin chuchotait entre nous.

04 avril 2007

PLEINE LUNE


Je titube un peu. Saoûle de lune bleue. Ivre de l’exploit d’aventure d’aller cueillir la lune avec mes pieds.
Spectacle inouï. Les primevères, si fournies, si nombreuses cette année, s’éclairent dans l’herbe comme des cataphotes. Le buisson d’aubépine a l’allure effarée d’une mariée qui perd son voile. Les chiens à mon passage se mettent à aboyer. Transmettent un message d’alerte jusqu’au sommeil des maîtres. Les pompons jaunes des cornettes ressemblent à des houppettes pour repoudrer la lune quand elle sera trop vieille. Un seul camion laboure la grand route. A propos de labour, ceux fraîchement retournés, luisent par les cravates des raies parallèles. On y distingue des retournements de socs. Les arbres, pas encore sortis de l’hiver, déploient leurs bras noirs sur le ciel aux nuages voluptueux. Parfois coiffent la lune d’une résille. Bataillons de peupliers d’argent préparant la parade ou l’attaque du lendemain. Si j’ai la lune devant moi, elle projette ma silhouette immense sur le côté. Rencontrant les fossés celle-ci se disloque puis repart dans la trace de lumière. Je retrouve ma taille normale ombrée en avant avec la lune derrière moi. Vu l’heure insolite, tout est insolite à mes yeux. Une exclusivité. Et avant de rejoindre mon lit, un bien-être respiratoire et musculaire s’installe, dénoue, repose les neurones.
« Aucun oiseau n’a le cœur de chanter dans un buisson de questions » J’ai lu cela chez René Char.
Au buisson de questions je préfère celui d’aubépine.
Pleine la lune et moi, entière.
Un rythme m’accompagne et fait parfois frissonner mes lèvres. J’ai rencontré le souvenir d’un baiser entre La Loue et le Vernatel. Je le couche avec moi.
Le chemin s’inscrit sous mes pas. Repu de lumière douce et abreuvé d’attente.
Il y a encore des mots pour dire.