« Forcer le regard de l’autre par un acte fort comme l’écriture »
Faire mienne cette réflexion de MARIA LONDON. ( http://london-maria.blogspot.com)
Et qui est cet autre ? Qui fut-il cet autre dont le besoin de regard était si impérieux qu’il m’incita à larguer les amarres, à remettre en question ces liens mal connus, mal appréciés, qui me retenaient depuis quarante années au port.
L’autre : un DOCTE MONSIEUR
- Docteur j’ai mal. Je ne sais pas de quoi, d’où … un mal qui vient de loin, de mon enfance, de toutes ces femmes qui m’ont précédée : grands-mères, tantes, voisines dont je connais à peine le nom, l’âge, l’histoire … j’ai mal à leur ignorance : ignorance de leur corps, de leurs droits, de leurs désirs. J’ai mal à la honte confuse qu’elles ont d’elles-mêmes, honte de leurs tailles, de leur force insuffisante, de leurs évanouissements, de leur langage mal dégrossi, patois charabia qui ne sait même pas désigner l’endroit de leur souffrance, l’intensité de leurs symptômes. Maladie d’humilité face au docteur savant, l’homme de science. Aujourd’hui, pour nous relever de ce fatalisme je suis heureuse qu’une de mes petites filles ose affronter les longues études de médecine, ose regarder lucidement la souffrance sociale qui continue de s’engouffrer partout dans les immeubles, dans les hôpitaux … Elle veut « soigner » dit-elle. Essayer d’être le grain de sable, la goutte d’eau. Comme je l’avais lu dans ses yeux toute petite auprès de son arrière grand-mère malade.
-L’autre : MONSIEUR MON SUPERIEUR HIERARCHIQUE
- Monsieur l’inspecteur regardez-moi ! je fais ce que je peux. Quelquefois au delà. Je force ma patience, mon énergie, mon savoir, à s’asseoir au banc écolier … J’invente, je théâtralise, je triche, je récompense, je punis … Je mélange allègrement imagination, rationalisme, foi … pour que les yeux pétillent, pour que les mains dansent, pour que l’espoir trouve dans la mémoire les moyens de se régénérer …
Que dites-vous ? vous m’avez entendu, vous répondez à ma demande d’encouragements non formulée. Vous n’êtes plus seulement attentif à mes panneaux muraux, à mes fiches auto-correctrices mais au son de ma voix, à ma fièvre enseignante que vous souhaitez apaiser, protéger. Qui sait ? à mes yeux bleus. Vous écrivez, je le sais, vous êtes de la famille des Hugo, Verlaine … San Antonio peut-être, Dostoïevsky … et vous m’affirmez tranquillement que je suis aussi de la vôtre, qu’il n’y a qu’à … que la page appartient à qui s’en empare.
Alors je me mis à écrire. Jets de l’âme, brouillons de rêves, romans de ma vie. Du moindre instant volé au temps défini, obligatoire, de la moindre fenêtre de papier (avant la machine à écrire puis l’ordinateur) je fis une durée solvable, une échappée libre. Je tendis, fière et confuse de mon audace, au docteur, à l’écrivain mon premier livre bleu. Ils dirent sincèrement, quasi tendrement « Merci beaucoup ! Continuez ! »
Je continuais. Je continue toujours. Même s’ils ne sont plus là pour regarder, même si ce n’est plus leur regard que je guigne.
Et puis je chante …
« Tant je fus la parleuse
Assise au jardin
A conter aux enfants
La splendeur de la rose … »
Je force toujours le regard de l’autre, quel qu’il soit, à me reconnaître comme sa sœur, sa femme, sa fille, sa mère, son égale …
A me regarder au fond des yeux dans la glace de l’écriture je le vois mieux cet autre qui me ressemble tant. Le bleu qui me fut donné en héritage transpire, transparaît dans toutes les couleurs de l’autre, s’y décale, s’y apaise … De me donner à voir et à entendre je vois plus clair, je chante plus haut !
L’acte fort a créé une dépendance certes, un alcoolisme de mots mais l’ivresse volontaire participe au fragile équilibre de ma rage de vivre et de mon assurance à bien le faire. "Bien !" j’écris comme en marge d’un devoir. That is to say : le mieux possible !