Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

24 septembre 2008

BELLE DAME

« La belle dame du château
L’autre jour m’a dit « Mathurine … »
Je crois que c’est ma marraine ( 104 ans à ce jour !) qui m’apprit la chanson …
Je ne peux la reconstituer entièrement mais l’essentiel revient aisément. Je suis invitée au château, moi, petite (de taille et d’importance) et paysanne. Non pour y travailler, « faire la bonne » mais pour y dîner en noble compagnie, à cause, précise la chanson, de ma taille fine, la plus belle du hameau …
La plus belle : superlatif flatteur.
Cette chanson m’a permis, sans doute depuis l’enfance, d’oser me pousser à l’avant-scène. Oh j’y ai mis le temps mais enfin : je suis au château du Jalleriat, septembre 2008, journées du patrimoine.
La châtelaine fait visiter ce qui est encore montrable. L’âme têtue de cette vieille demeure quasi à l’abandon, l’âme qui clame qu’on peut encore sauver du passé ce qu’il a de meilleur, c’est elle : Danielle.
Elle a imaginé, inventé, réinventé, reconstitué, mis en tableaux photos anciennes, matériel photographique, lettres, cartes … Elle a nettoyé jusqu’aux vitres, taillé, replanté dans les vasques de l’orangerie pour donner l’illusion que la vie est revenue au château …
Elle raconte …
Elle s’est maquillée, habillée de la tête aux pieds en volants, voilettes …
C’est peu dire qu’elle anime le lieu : elle force chacun à ouvrir son entendement, ses yeux. Elle bouscule les petits conforts actuels, les aveuglements bien commodes …
Dans son sillage ceux de sa famille de cœur prennent ou reprennent du service. L’ancien menuisier, la veille de l’ouverture, mastique les vitres qu’il a fournies, oh de simples verres blancs en place des vitraux ! mais la bâtisse en sourit plus clairement. Où est passé le hibou de pierre du bassin ? Que sont devenues les cheminées en marbre ? Danielle interroge, fourgonne dans les non-dits, les allusions évasives pour traquer la vérité … Elle en appelle aux responsabilités communales … le bâtiment est propriété de la commune qui y entasse indifféremment les bulbes de fleurs, l’atelier des jeunes, un bric à braque hétéroclite utile ou inutile … Un homme qui s’est rendu dans le grenier me dit offusqué que « c’est une honte » …
La ferme du château a été transformée en logements, pardon en « habitations fermières ». On a gardé à peu près l’aspect extérieur d’origine.
Danielle, belle dame, servante obstinée du patrimoine,
« Je suis bien fière et bien contente
et chacun m’envie au hameau
car maintenant et je m’en vante
partout je peux dire bien haut … »

d’avoir été là, avec toi, pour te regarder, t’écouter, accompagner de nos flons-flons ce vent de mémoire que tu as fait souffler, cette petite brise d’espoir en un avenir qui tienne compte des acquis.
Il y a bien quarante années que nous cheminons ensemble dans ces allées du patrimoine. Je connais ta pugnacité, voire ton acharnement, au détriment parfois de ta santé. J’aime ta façon de faire de ce passé non pas « table rase » mais table garnie où chacun peut s’asseoir. Tu m’as soutenue, tant de fois dans mes rêves de résurrection.
Tes longues heures diurnes ou nocturnes pour « assurer » cette tâche en plus de l’ordinaire ( ton travail, ta famille), j’en mesure le prix.
Ces deux jours-là Belle Dame, au château je vous aimais ni plus ni moins que d’habitude mais, comme d’habitude, ça faisait drôlement du bien !

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