Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

14 novembre 2010

B à B Suite 2


Il me vient un sourire. Est-ce pour son double rôle que je voudrais qu’elle m’appartienne ? L’explication ne dit pas tout ! Qu’elle m’appartienne comme la maison toute entière, comme la tablette de chocolat toute entière, comme ma mère, comme ses genoux et son ventre. Toute à moi.
Je prenais la boîte dans le placard. Je la renversais donc d’un geste immuable sur la maie. La maie n’a pas changé. On a recouvert le couvercle de bois. Il n’y a plus rien à pétrir. Je n’entends plus les grands bangs sourds tôt le dimanche matin avec lesquels mon père cognait la pâte jusqu’à la rendre souple et réveiller toute la maisonnée. Ce n’est plus à ces bruits que je me réveille le dimanche matin. Les boutons roulent sur la table à partir du tas immédiat près de moi. Je joue sans règle et sans durée. Je regroupe les couleurs. Je couds à l’enfilée, moi qui ne sais pas tenir une aiguille ! (Ah celle-là ! Elle ne sait même pas tenir une aiguille) des boutons sans nombre sur de longues robes longues. La robe longue est le signe d’évènements incommensurables, des mariages, des comices agricoles, en organdi, en satin, en toile de parachute à la sortie de la guerre. Je bâtis fil-à-fil, “ fil à bâtir ”, des destins remarquables où je serais remarquée. Et mes boutons se boutonnent tout seuls sur ces ouvertures extraterritoriales tandis que Maman rattache, énervée - je bouge tout le temps je suis une sandrôye, une sans jugeotte et une sans souci - le nœud à ma robe-tablier.
Maman, la Maman, la nôtre et la mienne qui n’a jamais eu de bonne pour l’aider, jamais de robe longue pour danser, seulement beaucoup de boutons à recoudre.
Que je ne les perde donc pas ces boutons ! Ils ne me sont que prêtés. Voici que l’angoisse me prend. Quelques-uns ont roulé par terre, sous le placard, ils ont disparu ... Je vais les chercher avec le manche à balai que je fais aller et venir maladroitement parce qu’il est trop long pour mes petits bras. Je ne jurerai pas d’être pressée de ramener les boutons capricieux avant que Maman s’aperçoive de ma sottise. Je suis Bien, là, allongée au ras du buffet, les fesses en l’air, le regard dans les profondeurs de dessous, ramenant des bourres de chat, des filoches de poussières, une vieille patate, des dessous quotidiens que le balai d’ordinaire envoie sous le placard plutôt que d’aller les chercher. Je m’appesantis. Le temps se délite et s’enroule, se mord la queue comme le dit le poète, mon voisin.

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