Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

13 janvier 2011

et fin


Chaque matin, chaque soir, autant de fois qu’il a fallu pour ne pas oublier, elle a psalmodié la prière d’Agni, le dieu de l’air, du souffle, des grands vents et des petites brises

Siffle sur les eaux
Souffle sur les forêts
Sacre les esprits
Saboule les oiseaux

Et puis après ? vous allez me dire. On est toujours loin des Trois Pucelles. Elle finit pas cette histoire ?
Si justement. Elle finit. Elle est finie. Vous êtes bien placés pour savoir, tout comme moi, que les dieux les déesses ont quitté le Moucherotte, que leur forêt s’est dispersée et que, même en se levant tôt pour grimper au sommet, on n’acquiert pas l’immortalité.

La nuit où les quatre points cardinaux se confondirent avec le centre, les quatre garçons et la fille se jetèrent de toute la force de leurs jambes et de toute la puissance de leur mémoire sur les lisières de la forêt de l’oubli. Chacun récitait, chantait, sifflait, psalmodiait le morceau de sa partition et il entendait dans les fourrés les sabots de Lili et sa voix qui reprenait avec eux sans relâche le grand cantique des Dieux déchus pour apaiser leur colère et attendrir leur âme.
Déjà ils étaient tous quatre presque hors de portée. Une dernière enjambée, un dernier saut et hop ! ils voyaient déjà les chandelles de Saint Nizier qui apparaissaient sur le rebord du grand chapeau. Ils croyaient presque entendre les cloches qui sonnaient leur délivrance.

Mais Thor
Qui brûle et chauffe
éclaire et tabise
avant d’éclater en mille morceaux lança sa foudre sur leurs têtes,
Nixe
qui coule, abreuve, arrose, et sacre,
avant de s’écouler en myriades de gouttes, déferla ses flots sous leurs pas

Agni
qui siffle, souffle,
saboule et sacre,
avant de s’étouffer d’impuissance, engouffra ses ouragans dans leurs oreilles et leurs poumons

et Mami la rusée, peut-être plus par tendresse pour eux que par désespoir pour son culte, elle qui, de toute façon, se savait immortelle, creusa, pétrit, engrossa, leur corps tout entier pour l’absorber en elle à jamais, au grand jamais. Mais en leur laissant leur taille et leur forme presqu’humaine.

Dites bonjour le matin à Riri des Arcelles, Lulu des Volants, Bébert du Molard, Gégé des Jaux ! Cherchez sur votre droite si vous êtes face à eux, la silhouette de Lili des Guillets, qui avait eu le temps de crier “ Mémé, me voilà !” à sa grand-mère qui s’était levée cette nuit-là pour aller la chercher coûte que coûte ! Et vous aurez peut-être la chance de voir les têtes s’incliner pour vous rendre le bonjour.

Si vous avez encore plus de temps un matin, montez vers eux, prenez-les en photo, dessinez-les, peignez leurs belles couleurs, chantez-leur la chanson de l’air, du feu, de l’eau, de la terre. Vous en serez si contents que vous comprendrez leur bonheur.
Immortels, ils continuent d’être avec nous, au jour le jour, à nous accompagner et à nous regarder faire et quand on fait des choses plutôt bonnes, bonnes pour l’air, bonnes pour le feu, bonnes pour la terre, bonnes pour l’eau, ils sont contents je vous jure.

1 commentaires:

Blogger Solange a dit...

C'est une très jolie légende.

jeudi, 13 janvier, 2011  

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