Mots et couleurs

textes auto-biographiques anciens et actuels, poésie, chansons, contes et nouvelles

30 mars 2012

LETTRE à GODOT


"-Patience, ça va venir

-Un peu d’attention s’il vous plaît

-Reste avec moi

-Je m’en vais

-Comment va ton frère ?

-Alors on y a ?
Allons-y."

Mon cher Godot,
Oh je sais bien, cette habitude : dire Cher, Chère avec intention, sur papier à en-tête, attention directe, quelle que soit le correspondant, je la tiens de l’enfance
Ma chère marraine,

Quel bonheur d’avoir quelqu’un de cher, de simplement connu à qui s’adresser, à qui parler, mieux encore à qui écrire !
Quel plaisir de sortir ses mots du dimanche, du Jour de l’An sur papier d’exception : PAPIERàLETTRE, à être

Mais non ! Godot, tu ne m’es ni famille, ni proche, in intime en quoi que ce soit : je raye le « cher »
Je garde GODOT. Depuis le temps que j’entends ce nom-là, évoqué, invoqué, supplié, depuis le demi-siècle de sa parution ; ce Godot qu’on attend ! appeler par ce nom cette silhouette mythique, ce fantôme d’homme ou de dieu, c’est déjà le faire exister !
1952. j’étais élève au Cours Complémentaire, classe de 5ième. Année de grand vent dans les grands arbres romantiques du programme. Année de sortie de l’enfance par la porte des Belles Lettres.
Godot apparaît sur la scène, sur le trottoir aussi, dans la rue. Je ne le connais pas. J’ignore tout de son existence ou de sa non-existence mais me prépare à sa rencontre. Je travaille, je potasse, j’écris mes premières envolées lyriques. J’aime.
Ce n’est qu’à L’Ecole Normale où je suis intégrée à force d’élans et d’exercices que je rejoindrai, classe de philo, l’actualité, le fauteuil d’orchestre, Godot.
Godot. Par ces syllabes il me ressemble, il est de ma tribu. Goder pour un vêtement c’est être mal taillé, mal ourlé, pendouiller, godailler.
L’allure godiche c’est la mienne, mal dégrossie de paysannerie à complexes culturels, de campagne lointaine à superstition, « retard » technologique, brodequins lourds et blessants ( ceux-là même d’Estragon). La Gode je sais ce que c’est. Je coupe, au couteau, les hauts des plants de maïs pour en nourrir nos bêtes, je les charrie sur la carriole ; quand la rape est mûre je la casse d’un coup sec, je la défeuille, je l’égrène …Dans les années de la guerre nous faisons la grimace à avaler la Godelle, farine de maïs de nécessité.
GODES ? GODER ? GODELLE ? GODOT ? Pouah ! Travail, Patrie, Religion, beurk !

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