p'tit bout d'femme
P’TIT BOUT D’FEMME
Quand il obtint le premier entretien à l’agence,
après maintes et maintes tergiversations avec sa conscience - ou plus
exactement avec la conscience qu’il avait de sa conscience, avant son
rendez-vous à l’agence - il n’avait pas, il faut bien l’avouer, une idée très
précise de la femme qui lui conviendrait. A cet âge, n’est-ce pas, on n’attend
de son imagination que des portraits plutôt théoriques, vaguement colorés par
endroits en gris-cendré. Comme maman.
A tout hasard cependant, il choisit la veste
vert-pomme que lui conseilla la vendeuse. Vivement. ( Peut-être excédée par ses
hésitations ) “ Très mode cette année! Très élégant !” A la réflexion peut-être
avait-elle dit “ très In” ou “ très
Up” ou “ très you la heup” , mais il n’aurait pu l’affirmer, tout émoustillé
qu’il était encore, à l’idée de ce vert-pomme étalé dans un pré au soleil, un
après-midi de juin.
La vendeuse portait un sarrau - oui, exactement un
sarrau - à damiers noirs et blancs. On ne sait plus ce que sarrau veut dire à
notre époque mais si la texture du tissu avait changé, car la souplesse toute
féminine des avantages qui gonflaient le dit-sarrau, n’avait pas du coton le
vague triste de l’obéissance aux lavages répétés, c’était bien la forme du
sarrau de jadis qui retenait les dites-formes bien qu’il ne recouvrit, en
l’occurence, pas exactement un corps de fillette. Etait-ce soie, ou grège,
linon, baptiste ? Plus certainement une, et même plusieurs, de ces molécules de
synthèse infroissables. Même dans un pré au soleil. Franchement, il n’osa pas le lui demander.
La question lui brûlait néanmoins tant les lèvres
qu’il dût se précipiter à la Pharmacie Centrale pour les enduire de pommade Rosa. Rosa ? Etait-ce Rosa
? Le prénom de la vendeuse
resterait pour lui une énigme.
Quoi qu’il en
soit, ayant soigneusement noté sur son agenda l’heure et l’adresse du
premier entretien, il s’y rendit immédiatement en sortant de l’officine.
Certes, ce ne pouvait être une simple petite vendeuse bien ... Heu ! roulée!
qui convienne à pareil vert-pomme ... Trop occupée sans doute ! Trop immature! Peut-être la
quarantaine, bien que ... Trop peu cultivée, trop distraite aussi sous des
dehors professionnels attentifs
... Il avait bien vu à la façon dont elle ne répondit pas à sa question,
l’unique question qu’il porta à son encontre, sans vouloir la blesser
d’ailleurs. Il aurait aimé qu’elle
en remarquât le subtil énoncé, tout personnel, qu’il avait eu le temps de
peaufiner pendant l’essayage. Mais elle ne répondit pas, c’était là un fait et
il n’y avait vraiment pas à revenir là-dessus.
Au croisement de la rue d’Alembert avec la rue
Diderot, rebaptisée rue piétonne, voyez- vous ça ! Piétonne et les gloires
du dix-huitième jetées aux orties,
il avait déjà tout oublié ou cru oublier du sarrau, de la texture de son
textile et de sa complexité d’analyse.
*à suivre !
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